Edith Aline N’Guessan, présidente-directrice générale (PDG) de la Pompe Funèbre de l’Agnéby (PFA), partage son expérience unique en tant que femme à diriger une entreprise de pompes funèbres en Côte d’Ivoire. Cette femme résiliente et déterminée montre que les femmes peuvent s’imposer dans des secteurs traditionnellement dominés par les hommes, et transformer la perception d’un secteur aussi essentiel que celui des pompes funèbres. Cet entretien accordé à « La Diplomatique d’Abidjan » (LDA), à l’occasion de la 4ᵉ édition des Awards de la Femme, tenue le 30 novembre 2024 à Abidjan-Cocody autour du thème « Entrepreneuriat et Réalités », met en lumière son parcours, ses défis et sa vision.
LDA : D’où vient votre passion pour le secteur des pompes funèbres ?
EAN : Je tiens cet intérêt de mon père. Après son décès, je me suis fixé le défi de reprendre et de valoriser l’héritage familial dans le secteur funéraire.
LDA : En tant que femme, n’avez-vous pas eu des appréhensions en rentrant dans le secteur funéraire ?
EAN : Cela fait trois ans que je dirige la PFA, et je suis également pasteure. La Bible parle de ces femmes qui sont allées au tombeau de Jésus, ce qui montre que ce secteur n’est pas nouveau pour les femmes. Dans nos villages, ce sont souvent les femmes qui prennent en charge les préparatifs funéraires. Être une femme à la tête d’une telle entreprise ne m’a donc pas semblé insurmontable.
LDA : Quels sentiments vous animent en tant que PDG femme dans ce secteur ?
EAN : Souvent, les femmes sont cantonnées à des seconds rôles, à s’occuper des corps, les embaumer ou les habiller. Mais voir une femme à la tête d’une telle entreprise suscite parfois des réactions choquées. On me demande souvent : « Toi, une femme, c’est ce métier que tu as choisi ? » Et je réponds fièrement que oui, j’ai fait des études pour cela, et que mon père a préparé sa relève. Aujourd’hui, je suis là pour continuer ce travail avec détermination.
LDA : Quel est le regard de la société et des hommes sur votre rôle de PDG ?
EAN : Les réticences existent. Nombreux sont ceux qui ont du mal à accepter qu’une femme donne des directives, surtout dans ce domaine. Cependant, avec patience et passion, on peut surmonter ces barrières. Il est essentiel de s’entourer de personnes compréhensives et solidaires, car nous travaillons dans un secteur qui exige un profond respect des aspects sociaux et culturels.
LDA : N’avez-vous jamais eu peur d'être dans ce secteur lié à la mort ?
EAN : Je n’ai aucune crainte, car en tant que pasteure et enfant de Dieu, je crois fermement en ma supériorité sur la peur. Ce secteur exige une grande maîtrise de soi. Une personne qui a peur ne peut pas y réussir, car il est essentiel de comprendre chaque aspect, même les plus délicats, comme la gestion des chambres froides.
LDA : Pouvez-vous nous décrire une journée type en tant que PDG ?
EAN : Chaque matin, d’abord, je commence par une réunion avec l’équipe pour faire le point sur les tâches à accomplir. Ensuite, je veille au contrôle du service et au respect des normes, car la qualité du travail est primordiale. Je supervise également les entrées et sorties, parce que la gestion des décès est un cycle naturel de la vie. Enfin, je m’assure de la bonne tenue du chiffre d’affaires, car une gestion rigoureuse est essentielle à la pérennité de l’entreprise.
LDA : Existe-t-il une école de pompes funèbres en Côte d’Ivoire ?
EAN : Non, il n’existe pas d’école de pompes funèbres. Chaque structure s’organise comme elle peut pour former ses thanatopracteurs, c’est-à-dire les professionnels chargés de la toilette mortuaire et de la préparation des corps. Souvent, cette formation se fait en partenariat avec des établissements spécialisés situés à l’étranger. Mais il en existe au Ghana, au Bénin et au Cameroun. Pour ma part, après avoir suivi des études en droit et en gestion d’entreprise, j’ai complété ma formation par un cursus en gestion des pompes funèbres à Paris. Cette expérience m’a permis d’acquérir les compétences nécessaires pour structurer et diriger efficacement une entreprise dans ce domaine.
LDA : Quels sont vos défis aujourd’hui ?
EAN : Le secteur funéraire est compétitif avec la présence de grands groupes comme Ivosep et Sipofu. De plus, il faut jongler avec les exigences culturelles et sociales, sans oublier les obstacles administratifs. Cependant, nous continuons de nous battre pour maintenir notre activité et rester performants.
LDA : Quel message adressez-vous à ceux qui souhaitent faire un métier dans les pompes funnèbres ?
EAN : Je voudrais dire à tous, particulièrement aux femmes, de ne pas avoir peur. Les métiers exercés dans les pompes funèbres sont nobles, car ils touchent à l’essence même de notre humanité et de nos traditions. Le secteur funéraire offre beaucoup d’opportunités : fabrication de pierres tombales, entretien des cimetières, services traiteurs lors des funérailles, ou encore assurances funéraires. En Côte d’Ivoire, il reste beaucoup à faire pour améliorer les standards, comme cela se fait en France, où les cimetières sont mieux entretenus. Les pompes funèbres dépassent la simple mise en bière; ils englobent un éventail de services autour de la mort, avec un potentiel économique et social immense.
Auteur: Eugène Yao