Par FOUSSENI N’GUESSAN*
« (…)Ellen Johnson-Sirleaf et moi, nous nous sommes concertés, et nous avons dit non, nous n’avons pas besoin de cela », aurait laissé entendre Alassane Ouattara, le président ivoirien, en réaction pleine d’à-propos, à une adresse faite, le 18 janvier 2016, à Guiglo, en terre ivoirienne, par un représentant du conseil des chefs traditionnels et coutumiers libériens appelant à une révision des lois libérienne et ivoirienne pour leur permettre un troisième mandat aux présidents libérien et ivoirien.
Le chef de l’Etat ivoirien vient-il de clôturer le débat ? Tout porte à le croire, si l’on s’en tient au contenu sibyllin de ces propos, sorte de réponse à la généreuse suggestion-proposition de l’ancien ministre ivoirien de la Fonction Publique et de la Réforme Administrative, Dr Ibrahim BACONGO Cissé, sur l’abrogation de la limitation du mandat présidentiel, dans le cadre du projet de révision constitutionnelle en vue par le Gouvernement ivoirien.
Sur la question, trois écoles ou doxas, fondamentalement, s’opposent, et se sont, depuis ces 30 dernières années, affrontées ; l’une allègue des dérives ou autres attitudes corruptibles que la longue présence aux affaires fait engendrer, avec les risques de tribulations ou de totalitarisme possibles ; la deuxième proclamant l’idéal démocratique, par la liberté à accorder qu’au seul peuple le pouvoir du choix ou de la sanction à l’un ou l’autre des candidats à l’élection présidentielle, et que ni la limitation du mandat, ni l’âge ne doivent tenir lieu. La troisième tire son argumentaire des effets des crises endémiques, prégnantes, sur le continent, aggravées par la menace terroriste et le crime transfrontalier qui ne favorisent pas une gouvernance aisée.
Supposons, un instant, que le chef de l’Etat ivoirien n’a pas l’expérience de la gestion d’un pays en crise, comme il a eu à le faire, entre 1989-1993, lorsqu’il fut Premier ministre, après avoir conduit le plan de restructuration et de relance de l’économie du pays, à la tête d’un comité Interministériel ? Sans faire des gloses inutiles, l’on peut imaginer que le sort aurait pu être autre chose, surtout lorsque l’on sait à quelle aventure le pays fut exposé dans un passé récent. A
Ailleurs sur le continent, le projet a rencontré des fortunes diverses. Si au Rwanda de Paul Kagame et au Congo-Brazzaville de Sassou-NGuesso, la pilule a plus ou moins bien été ingurgitée, cette tentative, au Burkina Faso voisin, ne fut pas heureuse, et atteste de l’intérêt du sujet. Toutefois, comparaison n’est pas raison !
Au surplus, l’initiative, osons-le dire, relève plutôt d’une certaine éthique qui, elle-même, découle des mœurs, de l’agir ou de la praxis politiques à l’usage dans un pays, du modèle des rapports à la gouvernance publique ainsi que de la mentalité dominante. C’est pourquoi, plus que des échanges d’amabilités ou de bons procédés entre partisans et adversaires sur la question, la mesure et l’humilité devraient expurger le débat de toutes émotions.
Certes, le président Ouattara n’est pas demandeur, mais le débat ne doit-il pas avoir lieu pour autant ? Loin s’en faut, et il indique la trajectoire lui-même. A la manœuvre et, en fin stratégiste, anticipant sur le cours des événements dont il entend imprimer les notes, le très structuré président ivoirien rouvre ainsi le débat sur les perspectives d’un débat plus global sur tous les textes qui régissent la vie publique, de même sur le statut et la vie des citoyens, nécessaires à l’émergence d’un « Ivoirien nouveau ». Et c’est là que, d’un point de vue plus général, le projet garde tout son intérêt.
L’exemple d’un pays comme le Botswana de Ian Khama, fils du tout-premier président, Sir Seretse Khama (1966-1980), et au pouvoir depuis 2008, ayant succédé à Festius Mogae (1998-2008), un ancien du prestigieux FMI, est à ce point édifiant. La pratique de la gouvernance publique et politique propre à cet ancien Etat du Commonwealth, indépendant depuis 1966, est un exemple de réussite et de succès économique et politique, eu égard aux indices de développement (PIB, développement humain, gouvernance publique,…).
« Un Etat n’est pas un donné naturel ; il est une construction de l’histoire », selon les précis de droit constitutionnel ; c’est pourquoi, celui-ci se doit de se doter d’une Constitution qui se fonde sur son histoire propre, sa culture, son modèle de relation existentiel, sa diachronie(son évolution) et sa pratique politique. Un Etat comme la Côte d’Ivoire, riche de ses diversités humaines et socioculturelles, doit se donner une Constitution qui ne ressemble qu’à elle, et à elle seule, et qui ne doit ressembler à celle d’aucun autre Etat.
L’Ivoirien nouveau de nos rêves, de notre idéal ou de notre destin communs devra s’ingénier à tuer le sentiment de culpabilité morbide qui a longtemps nourrit en lui le mythe de Sisyphe, la lâcheté collective, la schizophrénie et… le complexe de tribu assiégée, volontiers, distillé dans les consciences incultes et affadies. Gageons que les temps nouveaux, ceux de la citoyenneté universelle, inspirent et permettre de mettre fin aux débats ou autres controverses qui ne servent à rien. Pas même à leurs auteurs ou promoteurs !
*FOUSSENI N’GUESSAN
Journaliste, Conseiller chargé du Développement des Rédactions à l’AIP
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Auteur: Armand Tanoh