Par Mamadou Traoré
Réélu pour un quatrième mandat à l’issue du scrutin présidentiel du 25 octobre 2025, Alassane Ouattara s’engage dans une nouvelle phase de son long parcours politique. Si sa victoire ne souffre d’aucune contestation majeure, elle ouvre une ère d’attentes fortes et de défis multiples : consolidation sécuritaire, inclusion économique, apaisement social et repositionnement diplomatique. La continuité politique devra désormais s’accompagner d’un nouveau souffle.
Sécurité : un équilibre à préserver
La Côte d’Ivoire apparaît aujourd’hui comme un pôle de stabilité dans une sous-région secouée par les transitions militaires et la montée des menaces djihadistes. Mais cette stabilité reste fragile, surtout au nord du pays, aux frontières du Mali et du Burkina Faso. Des attaques sporadiques y rappellent que la menace n’a pas disparu, même si elle demeure sous contrôle.
Selon Ebenezer Obadare, analyste ouest-africain, « la Côte d’Ivoire devra consolider sa résilience sécuritaire, en renforçant la présence de l’État dans les zones rurales et frontalières, au-delà du seul déploiement militaire ». L’enjeu est autant sécuritaire qu’humain : il s’agit de maintenir la cohésion nationale en veillant à ne laisser aucun territoire à la marge.
Économie : la croissance doit devenir inclusive
Depuis plus d’une décennie, la Côte d’Ivoire affiche l’une des croissances les plus dynamiques d’Afrique, flirtant avec les 6 %. Les chantiers d’infrastructures, la modernisation d’Abidjan et la stabilité macroéconomique sont autant de réussites reconnues. Mais derrière ces chiffres, la question du partage des fruits de la croissance demeure centrale. Les inégalités persistent, le chômage des jeunes reste élevé et le coût de la vie continue de peser sur les ménages.
Pour Kouadio Koné, économiste et ancien conseiller à la Banque mondiale, « le défi du président Ouattara n’est plus de maintenir la croissance, mais de la rendre visible dans les foyers ». La diversification économique – vers l’industrie, l’agro-transformation et les PME – s’impose désormais comme un impératif pour éviter une croissance à deux vitesses.
Vie sociale : une jeunesse en attente
Plus de 70 % des Ivoiriens ont moins de 35 ans. Cette jeunesse, instruite mais souvent désœuvrée, réclame davantage de justice sociale et d’équité territoriale. L’écrivain et activiste Placide Konan résume le sentiment ambiant : « Les jeunes voient les tours s’élever à Abidjan, mais ils attendent toujours que leurs vies s’élèvent aussi. » La cohésion nationale se jouera dans la capacité du gouvernement à donner à cette génération une place réelle dans la décision publique et l’économie.
Le président Ouattara devra aussi restaurer la confiance dans l’administration, accélérer les réformes sociales et désamorcer les tensions intercommunautaires dans les régions où les frustrations demeurent fortes.
Dialogue politique : ouvrir la voie à un apaisement durable
La réélection d’Alassane Ouattara consacre une stabilité institutionnelle, mais aussi une domination politique sans véritable contrepoids. L’opposition reste affaiblie et fragmentée, souvent en retrait du débat public. L’enjeu pour le chef de l’État sera de transformer cette victoire politique en ouverture démocratique. Pour Séverin Yao Kouamé, politologue, « la Côte d’Ivoire a besoin d’un dialogue d’inclusion, pas seulement d’un dialogue de façade. »
Une reprise sincère du dialogue politique, associant partis, société civile et acteurs communautaires, permettrait de consolider la paix sociale et d’éviter le retour des divisions du passé. Le pays a besoin d’un cadre de discussion permanent, non de dialogues conjoncturels après chaque crise.
Relations régionales : la diplomatie de l’équilibre
Sur le plan régional, la Côte d’Ivoire devra composer avec un voisinage en recomposition. L’émergence de l’Alliance des États du Sahel (AES), dominée par les juntes du Mali, du Niger et du Burkina Faso, redéfinit les équilibres de la CEDEAO. La position d’Abidjan sera déterminante : maintenir les liens de solidarité avec les régimes démocratiques tout en évitant l’isolement diplomatique face à des voisins plus instables.
Ouattara, considéré comme l’un des doyens de la scène ouest-africaine, devra allier fermeté et souplesse. Son rôle sera crucial pour préserver le dialogue entre les blocs et maintenir la Côte d’Ivoire comme pôle de stabilité économique et diplomatique.
La réélection d’Alassane Ouattara ne marque pas seulement la continuité d’un leadership expérimenté ; elle ouvre une phase charnière. La sécurité, la redistribution des richesses, la justice sociale, la place des jeunes et la cohésion nationale seront les véritables baromètres de son dernier mandat. Le président, à 83 ans, a la responsabilité d’assurer non plus seulement la stabilité du pays, mais sa transmission politique et morale. La Côte d’Ivoire l’a reconduit ; elle l’attend désormais au tournant de l’histoire.