L’ambassadeur des Usa en Côte d’Ivoire a donné la position de son pays sur la situation en Côte d’Ivoire.
Les Ivoiriens se rendent aux urnes ce 31 octobre 2020. Vous êtes diplomate et un observateur de la vie politique. Comment entrevoyez-vous cette élection ?
Cette élection est une opportunité très importante pour la Côte d’Ivoire sur le chemin de son progrès. Pour progresser, tout pays a besoin d’investissements. Et les investisseurs ont le choix. Un investissement est une dépense consentie dans l’espoir de réaliser un bénéfice. Pour que cet espoir existe, il faut qu’il y ait les conditions nécessaires, à savoir, la stabilité, la prévisibilité, l’application équitable des lois, la bonne gouvernance en général. Tout cela est à prendre en compte. Dans le cas de la Côte d’Ivoire, cela est particulièrement pertinent, parce que c’est un pays qui intéresse les investisseurs. Si cette année électorale se passe bien, il pourrait y avoir beaucoup d’investissements. L’enjeu est donc important.
Sur les 44 candidats, seulement 4 ont été jugés éligibles pour prendre part à l’élection. Avez-vous un commentaire sur cette situation ?
Il y a beaucoup de candidats qui n’ont pas été retenus. Je pense que le Conseil constitutionnel a jugé qu’ils ne remplissaient pas les critères. Dans tout pays, il faut bien qu’il y ait quelqu’un qui tranche. Qui dit la loi dans ce pays ? Il faut qu’il y ait une réponse claire à cette question. En Côte d’Ivoire, pour les questions de ce genre, je crois bien que c’est le Conseil constitutionnel qui tranche. Les Etats-Unis respectent la souveraineté de la Côte d’Ivoire. Je vois donc mal mon gouvernement contredire ce qui est dit par la plus haute instance ivoirienne.
Pensez-vous, dans ces conditions, que le scrutin sera apaisé. Hier, il y a eu des barricades sur des routes ?
Il y a un vieux dicton qui dit : « Il faut deux pour faire la paix, mais il suffit d’un seul pour faire la guerre ». Chacun doit assumer sa part de responsabilité. Le recours à la violence est inacceptable. Et ce pays a déjà trop souffert du recours à la violence. J’étais à Bouaké il y a quelques jours. Le maire m’a expliqué qu’avant la première crise, Bouaké était la deuxième métropole économique de toute la zone Uemoa, devant Dakar au Sénégal. Cette ville est aujourd’hui à la quatrième place en Côte d’Ivoire. Les gens de Bouaké, la population de Bouaké a bien compris que la violence mène au désastre. J’étais très fier de lancer, avec le maire, une campagne de sensibilisation financée par le gouvernement américain, au cours de laquelle, les représentants de différents partis politiques donnaient tous le même message contre les discours de haine et de division. On avait des représentants du Rhdp, du Pdci, du Fpi et de Gps. Les partisans de l’opposition ont autant de droits de s’exprimer que ceux du pouvoir. Les supporters de l’opposition ont le droit de se rassembler tranquillement. Le comportement des forces de l’ordre est censé être tel qu’on n’arrive pas à deviner que le meeting rassemble des militants de l’opposition ou du parti au pouvoir.
Je profite pour dire que je pense que le régime a une belle occasion maintenant de prendre une position claire concernant les rapports, a priori, crédibles d’agressions visant les supporters de l’opposition qui essayaient de se rendre au stade le weekend dernier.
Peut-être qu’il y a eu une annonce à cet effet, mais moi, je n’ai pas connaissance d’une telle annonce par le régime. Et je suis convaincu que ce serait une très bonne chose.
Est-ce qu’il est prévu de déployer des observateurs américains pour le suivi de cette présidentielle ?
Plusieurs membres de l’ambassade, y compris moi-même, sont accrédités en tant qu’observateurs. Nous l’avons déjà été lors de l’opération d’enrôlement sur le listing électoral en juin. Nous avons déjà une équipe d’experts en observation électorale à long terme. Ce sont pour la plupart des africains financés par le gouvernement américains. Il y a aussi la formation par l’Usaid et son partenaire Ndi, l’Institut national démocrate des Etats-Unis, d’observateurs ivoiriens issus de la société civile. Et là, il est question de centaines d’observateurs.
Le 30 septembre, vous avez rencontré les membres du Conseil constitutionnel. Quel était l’objet de cette visite ?
J’ai présenté au président du Conseil constitutionnel les chefs de cette mission d’observation électorale à long terme, composée d’Africains et de quelques européens. C’est une mission financée par le gouvernement américain, mais qui est indépendante. Je les ai présentés et je me suis retiré. Ils ont eu une discussion approfondie avec le président du Conseil constitutionnel et certains de ses collaborateurs. J’ai profité de l’occasion pour avoir une visite de courtoisie, un tête-à-tête, avec le président de cette institution. J’aurais pu le faire avant mais la pandémie du coronavirus a bouleversé le programme de tout le monde. C’est dans ce contexte qu’il faut inscrire ma visite au Conseil constitutionnel.
Avez-vous prévu d’autres visites chez des acteurs politiques pour vous enquérir de la situation qui prévaut en Côte d’Ivoire ?
Lors des semaines et mois passés, j’ai rencontré les dirigeants de presque toutes les formations politiques. Mes collaborateurs sont en contact régulier avec des hautes personnalités de la coalition au pouvoir, de l’opposition dans toute sa diversité. Nous nous intéressons à leurs expériences vécues et à leurs perspectives. Notre message à tous, c’est que nous voulons que la Côte d’Ivoire ait des élections libres, équitables, apaisées, suffisamment transparentes pour que tous puissent accepter comme légitime.
Que pensez-vous de la médiation entreprise par la Cedeao, l’Union africaine et l’Onu ?
Je ne sais pas s’il s’agit de médiation au sens propre du terme. Mais je crois que c’était une initiative vraiment bienvenue. Moi-même, en compagnie d’autres ambassadeurs, avons rencontré cette délégation de personnalités éminentes. Il s’agit là d’une expression de la bonne volonté de la communauté internationale pour accompagner ce pays souverain tout au long d’un processus qui est très sensible, et dont l’enjeu est important bien au-delà des frontières de ce pays.
Il y a-t-il une condition pour que les Etats-Unis reconnaissent la victoire d’un candidat à une élection présidentielle ?
Le rôle de l’ambassade, c’est d’observer minutieusement, autant que possible, de façon compréhensible l’ensemble du processus. Nous avons la bonne chance, en tant qu’américains, de vivre la démocratie chez nous. Nous savons ce que c’est. C’est dans cette perspective-là que nous gardons les yeux ouverts, les oreilles ouvertes, maintenons le contact avec toute une gamme de parties prenantes. Forcément, nous tirerons les conclusions idoines de ce que nous aurons observé de ce processus. Il nous est déjà arrivé de faire des commentaires discrètement à différentes parties prenantes, en fonction de ce que nous avions constaté. Dans la mesure du possible, les Etats-Unis travaillent de concert avec d’autres amis partenaires de la Côte d’Ivoire. Je salue le rôle du coordonnateur du système des Nations-Unis, qui préside un groupe informel d’ambassadeurs en appui au processus électoral. Je salue aussi la disponibilité du président de la Commission électorale indépendante et les représentants des ministères publics concernés, également la disponibilité des dirigeants des partis d’opposition. Chaque entité œuvre pour que ce groupe d’amis internationaux, respectueux de la souveraineté de ce pays, soit mieux informé et joue un rôle d’accompagnement constructif.
Quels sont les critères des Etats-Unis pour juger une élection crédible ?
Le peuple ivoirien a le droit de choisir en toute tranquillité qui va présider au destin du pays pendant la période à venir, au suffrage universel adulte. Tout ce qui fait entrave à cela est un problème. Nous ne vivons pas dans un monde d’anges. Nous sommes malheureusement des êtres humains. Quelque chose peut imparfait sans perdre sa validité, sans perdre sa légitimité. Mais, il y a un seuil en dessous duquel, on ne pourrait pas juger le processus ou le résultat crédible.
Mais pour le moment, je continue de croire qu’il est possible pour la Côte d’Ivoire d’avoir une élection crédible et apaisée le 31 octobre. Mais, ce n’est pas à nous de fixer la date. Elle est déjà connue. Je crois que c’est possible. Ce n’est jamais acquis d’avance. Il faut être vigilant.
Quel est le seuil en dessous duquel les Etats-Unis ne reconnaissent pas la crédibilité d’une élection ?
Il y a toutes sortes de choses. Je pense qu’il ne serait pas utile d’élaborer des tas de possibilités. Le principe est tel que je l’ai énoncé plus haut. Est-ce qu’il y a des entraves à ce libre exercice du choix souverain du peuple ivoirien ? S’il y a des entraves, il faut en évaluer la quantité et la qualité.
Le 8 octobre dernier, le secrétaire d’Etat américain, dans un communiqué, a parlé de mesures restrictives, entre autres, de récession au niveau des visas. Est-ce que ce communiqué s’adressait au pouvoir ivoirien ?
Ce communiqué s’adressait à l’Afrique tout entière. L’intitulé était : « Les élections à venir en Afrique ». Et c’est parce qu’il y a beaucoup d’élections sur le continent cette année justement. Notre secrétaire d’Etat, Monsieur Pompeo, a énoncé des principes bien connus que nous prenons au sérieux. Et j’invite tout le monde à croire que nous les prenons au sérieux en se rappelant que nous vivons ces principes chez nous. Ces principes ne s’appliquent pas tout seuls. Il faut l’engagement de millions de citoyens et des institutions de la République pour que ça se passe comme il faut. Et nous voulons que ça se passe comme il faut. Nous saurons apprécier comment ça se passe.
La Côte d’Ivoire est en campagne dès ce jeudi 15 octobre. En tant que diplomate, quel message souhaitez-vous lancer aux acteurs politiques et aux Ivoiriens ?
La démocratie est la forme de gouvernance la meilleure qui ait été inventée. Parce que c’est la seule qui permet le changement pacifique à la tête d’un Etat. Elle respecte la souveraineté du peuple tout entier. Mais ce n’est pas une forme de gouvernance naturelle. La démocratie demande énormément de civisme de la part des populations. Elle ne marche que lorsqu’on peut avoir confiance les uns aux autres, et que chaque entité joue franchement le jeu. La meilleure chose que chacun puisse faire pour renforcer la démocratie dans quelque pays que ce soit, c’est de se responsabiliser et de démontrer par les paroles et les actes qu’on est prêt à jouer le jeu et à respecter les contraintes que cela impose. Si mon candidat perd, j’accepte le résultat et je me prépare pour faire mieux la prochaine fois. Que chacun comprenne qu’il faut absolument épargner à ce pays la violence. On peut déclencher la violence, mais il est très difficile de la contrôler par la suite.
L’opposition a les mêmes droits que les partisans du pouvoir de s’exprimer, de s’organiser, de se rassembler. Cela doit se faire dans un climat dans lequel personne ne se sentira intimidé ou harcelé parce qu’il n’est pas d’accord avec d’autres dans son voisinage. Je demeure convaincu que c’est encore possible que cette élection soit un pas en avant pour la Côte d’Ivoire. Et c’est ce que j’espère.
Fratmat.info
Auteur: LDA Journaliste