Dossier-Odienné/ Conflits agriculteurs-éleveurs : une menace sur la cohésion sociale

Les conflits entre agriculteurs et éleveurs en Côte d’Ivoire en général et particulièrement dans la partie septentrionale du pays, où leur récurrence est avérée depuis quelque 30 ans, sont une menace sur la paix et la cohésion sociales, au regard des acteurs impliqués, au nombre desquels des bergers de troupeaux transhumants.

 L’indispensable nécessité de l’agriculture et de l’élevage pour assurer la sécurité alimentaire

Les agriculteurs et les éleveurs sont deux acteurs indispensables pour la sécurité alimentaire des populations ivoiriennes, même si  l’élevage reste une activité secondaire avec une contribution de 3% au PIB (Produit intérieur brut).

La croissance rapide de la population (3,8% selon le recensement de 1999) a induit un déficit en protéine animale. Dans les années 2000, la production en viande était estimée à 56 000 tonnes et couvrait seulement 56% de la demande nationale selon une étudede Dr Walter  KRA Sociologue Consultant.

D’où la promotion de l’élevage de bovin, volaille, porc et petits ruminants. Dans le Nord du pays, l’élevage des bovins, plus pratiqué, met à mal l’agriculture, notamment les cultures pérennes (anacarde et coton), les cultures vivrières (riz, manioc, maïs, igname, arachide), et des cultures maraîchères (gombo), au point se susciter des conflits récurrents opposant des communautés autochtones et allogènes.

La crise militaro-politique du 19 septembre 2002 a favorisé l’afflux massif des éleveurs et bouviers et exacerbé les antagonismes entre agriculteurs et éleveurs  

A la faveur de la crise militaro-politique du 19 septembre 2002, les tensions entre agriculteurs et éleveurs ont été exacerbées par l’afflux et l’occupation des zones de Tienko, Minignan, Bako, Kaniasso, Odienné, Séguelon par des troupeaux transhumants venant des pays limitrophes.

Selon des éleveurs, l’on dénombre plus de 36 000 têtes de bœufs dans les régions du Kabadougou et du Folon. 

Les éleveurs qui sont rattachés à un terroir et qui y vivent avec leurs troupeaux sont dits sédentaires. Ils font partie de cette classe des éleveurs qui vivaient avec les villageois bien avant la crise et qui ont un cheptel de taille moyenne.

 Il y a aussi des bouviers qui sont arrivés à la faveur de cette crise et qui ont pu négocier et obtenir un village d’accueil. Ces derniers conduisent leurs troupeaux en divagation dans la journée et retournent le soir au village. Ils travaillent pour des propriétaires qui sont souvent des hommes d’affaires ou de grands commerçants à Odienné.

 Les bouviers nomades ne sont pas souvent propriétaires d’animaux, et travaillent pour de gros éleveurs ayant plusieurs troupeaux et installés en ville. A la différence de ceux de la première catégorie, ils ne sont rattachés à aucun village et « tournent » continuellement dans la région. Les dégâts de nuit sont souvent causés par ces derniers et il est parfois difficile de les retrouver ou de prouver l’implication de leurs troupeaux dans les dégâts des champs.

Les éleveurs transhumants, quant à eux, traversent la zone d’Odienné avec une possibilité de séjour, souvent de quatre mois. L’absence de pâturage dans les pays sahéliens oblige les éleveurs à descendre vers le sud en attendant le retour de la saison des pluies dans leurs pays d’Origines.

Mais la crise a créé des conditions d’installation de certains transhumants en côte d’Ivoire et particulièrement à Odienné. Ceux qui passaient d’habitude suivant les axes Odienné-Man ou Odienné Séguéla via Touba ont tendance à se sédentariser.

De nombreux conflits ouverts ou latents

D'août 2014 à février 2015 le comité de facilitation installé par le sous-préfet d'Odienné a réglé 93 conflits sur 276 enregistrés pour des paiements de dommages et intérêts de plus de six millions en moins d’un an d’existence.

Les conflits agriculteurs et éleveurs naissent du saccage ou la destruction par de nombreux troupeaux, de jour comme de nuit, des exploitations agricoles sur leur passage.

La destruction porte généralement sur les cultures pérennes (anacarde et coton), les cultures vivrières (riz, manioc, maïs, igname, arachide), et des cultures maraîchères (gombo).

En représailles à ces dommages, les agriculteurs procèdent à l’abattage des animaux et au déguerpissement des éleveurs et bouviers des villages.

 A titre d’exemple, l’on relève l’affrontement entre éleveurs et agriculteurs à Odienné en avril 2014 suite à l’abatage de plusieurs têtes de bœufs dans un parc. Ce conflit a provoqué une grève des bouchers et donc une pénurie de viande sur les marchés d’Odienné.

A Bako, un affrontement entre agriculteurs et éleveurs a conduit à la mort d’au moins deux personnes et d’importants dégâts.  A Séguélon, plusieurs plaintes ont été enregistrées par le préfet  pour dévastation de cultures dans les villages de Lillé, Lingoho et à l’abatage de bœufs.

Les principales causes

Il y a la divagation des animaux, la transhumance sauvage des bêtes, la marche des troupeaux d’une zone ou d’une localité à une autre ; ce qui constitue de jour comme de nuit une violation de la législation sur la transhumance.

Il s’agit, en effet, du décret n° 96-431 du 3 juin 1996, pris par l’ex-président Henri Konan Bédié, portant réglementation du pâturage et des déplacements du bétail et la révision du décret n° 96-434 fixant les principes d’indemnisation des préjudices causés à des animaux d’élevage.

 Celles-ci (la divagation et la transhumance) s’expliquent par l’insuffisance, voire l’absence de parcs à bétail ou de zones exclusives d’élevage liée, entre autres, au refus des paysans de donner des parcelles pour la construction desdits parcs. A cela, il faut également ajouter l’insuffisance de bouviers pour encadrer les vastes troupeaux, et par ricochet l’utilisation des enfants en qualité de bouviers ; ce qui  réduit les capacités d’encadrement du bétail, l’implantation désordonnée des exploitations agricoles qui favorise l’émergence de conflits entre les agriculteurs et les éleveurs.

 Il s’agit, entre autres, de l’installation des champs a proximité des couloirs de transhumance, de l’absence de zones exclusivement réservées aux activités agricoles, de la disposition des parcelles agricoles, notamment sur les voies de passage des animaux et près des parcs ou des points de breuvage, de la dispersion des parcelles de petite taille, et de la non-sécurisation des récoltes.

La corruption qui se développe entre les différents acteurs impliqués dans la gestion des conflits. Ceux-ci, en effet, ne font pas preuve de sincérité, et donc n’inspirent pas confiance. Ils rechercheraient des profits individuels au détriment de la résolution durable des cas de conflits qui se déclarent.

Par exemple, bien que les paysans n’acceptent pas les bœufs dans leur région, certains chefs de villages favorisent, à l’insu des villageois et au mépris du droit foncier rural, l’installation des éleveurs moyennant de l’argent.

En outre, les dommages et intérêts exigés suite aux dégâts de cultures sont jugés non proportionnels au coût des intrants et autres produits utilisés dans le traitement des champs. Selon des agriculteurs, certains éleveurs, sachant que les dommages et intérêts sont dérisoires, dévastent souvent volontairement les champs des agriculteurs, « d’où le slogan, pauvre a toujours tort » car les éleveurs sont considérés comme les plus nantis.

Enfin, il convient de noter des difficultés des comités de règlement des litiges à accomplir pleinement leurs missions sur le terrain. Ces difficultés sont essentiellement liées à l’insuffisance des ressources financières de ces comités et l’ignorance des membres quant aux textes qui régissent la transhumance.

Des répercussions des conflits au plan économique et social

 Les conflits entre agriculteurs et éleveurs ont des conséquences au plan économique et social.

Aur plan économique, ils affectent le développement de l’agriculture qui constitue la base de l’économie de la région. De ce fait, ils contribuent à accentuer la pauvreté à travers la réduction des productions agricoles et des revenus des paysans. De même, on observe des pertes financières chez les éleveurs ainsi que la réduction de leur cheptel ; ce qui accroît le déficit en viande au niveau local et national.

Au plan social, les conflits entre agriculteurs et éleveurs mettent à mal la cohésion entre ces acteurs qui partagent le même espace d’activité, la terre. Les heurts fréquents constituent, en effet, un facteur de fragilisation de la cohésion sociale et d’émergence des sentiments de haine et de vengeance. Il ya en outre une sorte d’affection et d’humiliation chez les victimes. 

La prévention et le règlement des conflits passent par l’application stricte de la loi

Le défi pour un règlement durable des conflits entre agriculteurs et éleveurs pour sauvegarder la paix  et la cohésion sociales entre les populations de la région d’Odienné passe par  l’application effective du Décret n° 96-431 du 3 juin 1996, portant réglementation du pâturage et des déplacements du bétail et la révision du décret n° 96-434 fixant les principes d’indemnisation des préjudices causés à des animaux d’élevage, la promotion des droits de l’homme dans les zones de conflits comme Odienné. La révision des taux d’indemnisation étant jugés trop insignifiants par des agriculteurs, il importe de les revaloriser.

Cela devra se concrétiser par  la création de zones pastorales propices, où l’agriculture ne sera pas pratiquée, amener les éleveurs à ne plus se déplacer nuitamment et à respecter les couloirs réservés au animaux et procéder à leur recensement, afin de maitriser les cheptels dans la région d’Odienné.

 Il faut en outre promouvoir chez les agriculteurs et les éleveurs des pratiques et comportements susceptibles de réduire voire annihiler les risques de conflits comme les renforcements des capacités des agriculteurs et éleveurs, la tenue de dialogue communautaire pour emmener les principaux acteurs à s’impliquer dans la recherche des solutions.  Amener les autorités coutumières à informer et à impliquer effectivement la population et les autorités administratives dans les projets de création d’élevage de bovin ou d’installation des éleveurs  dans les villages.

 

Un dossier de l’AIP

Auteur:
Armand Tanoh

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