C’est l’aurore! Le coq chante pour annoncer le jour levant. Nous sommes en Afrique noire. Qui brille de teints claires ! Abidjan, Lomé, Cotonou, Dakar, Monrovia, Bamako, Banjul, Bissau, Libre-Brazzaville, Conakry, Yaoundé, Kinshasa, Ouagadougou, Niamey, Accra, Bangui, Ndjamena, Bref ! Aucune capitale africaine n’échappe à cette tendance à la dépigmentation de la peau. En un mot, les personnes de teint noirs sont de plus en plus rares sur le continent noir. Hommes et femmes, tous s’adonnent, à cœur joie, à cette pratique. Tout le monde s’éclaircit la peau, à l’aide, bien entendu, de produits cosmétiques à base d'hydroquinone qui détruit tout le pigment noir du corps. Des produits dont le gouvernement ivoirien vient d’interdire la fabrication, la vente et la consommation, lors d’un Conseil des ministres tenue le mercredi 29 avril 2015.
Une question de santé publique
Manufacturés ou artisanaux, ces fabrications cosmétiques décapantes, crèmes, laits, pommades savon et même injections, ont des appellations populaires variables selon le pays. Chez nous en Côte d’Ivoire, ça s’appelle " tchatcho", ou "gôpô" ou encore "chakara". Au benin, c’est "bojou", "xeesal" au sénégal, « kobwakana » ou « kopakola » (1) dans les deux Congo. Ainsi, l’on pourrait aboutir à la conclusion selon laquelle la couleur ébène est résolument en voie de disparition sous nos tropiques, tant on se "tchatcho" à outrance. Sans même se soucier des conséquences désastreuses de cette pratique sur la santé: brûlure de la peau, apparition sur tout le corps de boutons du à des allergies ou incompatibilité entre le produit appliqué et l’organisme de personne qui l’utilise, infections cutanés de toutes dont, les furoncles, dartres, peau multicolore, etc. Il n'est donc pas étonnant de rencontrer des femmes à deux ou trois couleurs de peau. Les plus malchanceuses se retrouvent avec un visage brûlé au second degré, tâches et points noirs sur le corps, vergetures sur les seins, poitrine et cuisses, cancer de la peau, etc. Les spécialistes en médecine relèvent même que la gravité de certains effets nocifs de la dépigmentation peut conduire jusqu’à la mort. Et c’est là tout l’enjeu de cette nouvelle mesure des autorités ivoirienne qui vise tous les produits de beauté d’une teneur en hydroquinone de plus de 2 degrés ; car il s’agit bien là d’une question de santé publique.
Alors, c’est bien naturellement que l’on soit souvent déconcerté par cette propension, aussi bien des hommes que des femmes africaines de race noire, à la dépigmentation, d’autant plus que la plupart de ces "auto-décolorants" n’ignorent pas totalement les risques auxquels leur péché mignon expose leur propre santé. Voire leur vie. Quel sont donc les mobiles qui pourraient bien pousser ces hommes et femmes à faire le"bojou" ? Nous n'allons pas nous atarder sur cette question, puisque dans presque tous les casil s'agit d'un acte nocif à abandonner ou à éviter. Par contre, il s'avère non moins pertinent de dépeindre ensemble ce que nous appelons la "géographie du genre en matière de dépigmentation". En effet, la dépigmentation, en Afrique noire obéit, d’après mes recherches et observations, à une certaine particularité géographique selon le genre de la personne qui s’y adonne.
Ah les hommes ...
Oui, les hommes ! Les hommes qui se dépigmentent la peau en Afrique noire vivent pour la plupart en Afrique dans les pays d’Afrique Centrale, principalement dans les deux Congo (Brazza et Kinshasa). Cette pratique, d'après des études, a débuté dans les pays dans les années 70 avec l’avènement du mouvement de la SAPE (Société Anonyme des Personnes Elégantes(2), avec comme figures de proue les stars de la musique congolaise. A cette époque, au pays de Mobutu, l’élégance est la chose la mieux partagée chez la gente masculine. Et un homme élégant, c’est un "sapeur", bien habillé, bien parfumé, mais surtout bien clair. Ici, on pourrait dire que la tendance à la dépigmentation ne répond qu’au seul mobile esthétique.
Ah les femmes…
La réponse passe-partout pour expliquer l'attachement des femmes à ce phénomène, c'est qu'il parait que les "bons mâles" de chez nous les trouvent plus belles avec le teint clair.
Un conseil d’ami à vous, chers lecteurs: si jamais il vous arrivait, à Abidjan, de tomber par hasard sur une connaissance féminine perdue de vue depuis belle lurette, initialement de teint noir mais reconvertie rouquine bon teint, avec des points de beauté noirs dans le visage, supplanté d’une chevelure devenu rousse pour faire plus "vraie", ne vous hasardez jamais à lui dire : "qu’est que tu es devenue claire!" Sinon, vous l’auriez profondément choquée et frustrée. Puisqu’elle est désormais "naturellement claire…". Mais que lui dire alors ? Eh bien, dites lui plutôt ceci: "Oh ma chère, qu’est ce que tu es devenue plus belle ! Ton teint est vraiment bien ressorti …", sans oublier de lui afficher un sincère sourire. Là, vous l’aurez flattée et comblée de joie, cette belle jeune "négresse blonde dorée à l’huile de palme", pour l’emprunter à Léopold Sédar Senghor. Et Pourtant, ironie du sort, les choses rares étant très souvent les plus prisées, les femmes de teint noire deviennent les plus attirantes au bord de la lagune Ebrié.
La nuit est tombée. Et le loup hurle sur la colline, en direction la pleine lune si lumineuse. Nous dansons dans cette belle nuit africaine, au bal masqué des tout-mignons provisoires. "S’il vous plait, mignonne demoiselle, m’accorderiez-vous cette danse ?".
A la prochaine !
Une chronique signée Traoré Ahmed Bob, journaliste
Références webographiques :
(1) http://www.grioo.com/info3019.html
(2) http://www.afrik.com/article14408.html
Auteur: Armand Tanoh