CI-Analyse socio-politique: "Les réformes des institutions ne font pas les refontes institutionnelles"

Même si l’on comprend le désastre duquel la Côte d’Ivoire doit renaitre, peut-elle y parvenir uniquement avec qu’avec les ressources financières qui affluent progressivement à destination des caisses publiques. A la faveur de la venue de Kim Yong Jim, président de la Banque Mondiale, la nécessité d’une rallonge financière a même été évoquée. Il faudra se poser la question de l’exercice des dettes qui naîtront de cet afflux massif d’argent.

 

Outre sa capacité à lever des fonds, le président Alassane Ouattara hérite d’une situation dont la complexité appelle à des orientations dites innovatrices, d’ordre politiques, économiques et sociales. Par réformes innovatrices, il faut entendre comme Bruno Palier (Chercheur au CNRS) et Giuliano Bonoli (Chercheur au l’IDHEAP) celles qui marquent un changement de logique et une transformation structurelle. Même si c’est la voie qui semble être suivie, la difficulté de la conduite de ces trois types d’innovation réside dans leur nature systémique. Néanmoins, la perception du caractère prioritaire de toutes les actions à conduire est une illusion d’optique dont il faut se détourner pour faire des réformes des politiques publiques la priorité des priorités. En effet, la mise en place intelligible d’institutions détermine une création et répartition optimale des richesses et l’allocation efficace des ressources publiques. Ces innovations politiques consistent en une refonte irréductible des institutions qui jusqu’alors présidaient à la « destinée » du pays. Cette refonte correspond à un changement qui concerne simultanément trois variables essentielles de l’action publique que sont ses buts, instruments et modalités d’utilisation des instruments. Ces trois variables, coordonnées de manière interdépendante, forment une stratégie politique intelligible et nécessaire à la conduite d’un programme politique. Il s’agit là d’un plaidoyer pour un renforcement du changement de vision politique que semble imprimer les nouvelles autorités publiques. C’est ce type de changement qui confèrera à la gouvernance publique en Côte d’Ivoire une qualité, régénératrice de la confiance indispensable à la redynamisation d’un « savoir vivre ensemble ».

 

En effet, la pleine possession du pouvoir par Alassane Ouattara satisfait seulement une des revendications de la rébellion armée du 19 septembre 2002, c'est-à-dire son accession au pouvoir. Si la guerre semble terminée, la crise politique ivoirienne n’est, quant à elle, certainement pas à son dénouement ! La liberté d’action retrouvée d’Alassane Ouattara et l’arrestation de son prédécesseur en constituent seulement un point d’étape tout comme les élections présidentielles et législatives. De fait, un ensemble de questionnements, pour avoir été minimisé jusqu’à maintenant reste en suspens. Il en va ainsi des questions relatives au foncier – certes des actions sont perceptibles dans ce domaine -, à la visibilité ethnique dans les instances de pouvoir, à la citoyenneté ivoirienne, aux expropriations ayant eu cours depuis 2002, etc. Alassane Ouattara hérite à cet égard d’une situation difficile dont l’accalmie peut être remise en cause à tout moment si sa stratégie politique, dont les contours et le contenu restent encore difficilement perceptibles, ne lui permet pas d’équilibrer les tensions entre redevabilité à l’attention de ses soutiens internes et internationaux et création d’une scène politique inclusive. Ainsi, une réflexion relative à la stratégie de mise en œuvre du programme politique du président mérite d’être mise en débat. On peut penser qu’au regard de l’urgence de la satisfaction des nombreuses attentes de la population ivoirienne, des réponses doivent être apportées sans qu’il n’y ait la moindre question posée. Mais la légitimité de ce questionnement est fille de plus de dix ans de traumatisme des ivoiriens, de leurs angoisses face à l’avenir et du spectaculaire recul de tous les indicateurs socioéconomiques du pays.

 

Un bref rappel historique montre qu’au sortir du miracle ivoirien (appellation de la période 1960-1978 marquée par une forte croissance de l’économie ivoirienne), la politique ivoirienne n’a jamais pu se prévaloir de résultats probants. Il en va ainsi, à titre d’exemples, des douze travaux de l’Eléphant d’Afrique de Henri Konan Bédié, le premier président de la période post Houphouët Boigny ou du projet d’Assurance Maladie Universelle du président déchu qui mettent qui mettent en exergue la question de la faisabilité des annonces électoralistes, mais également de la pertinence des arrangements institutionnels qui sous-tendaient l’action publique. Au regard de ce constat, la stratégie politique d’Alassane Ouattara devra davantage éclairer les populations sur au moins trois innovations politiques majeures interdépendantes. La première est relative à l’orientation de la politique intérieure. Il s’agit sur ce premier point de l’ambiguïté, entre « refonte institutionnelle » et « réformes institutionnelles », sous-jacente aux décisions politiques actuelles. Une réforme, c’est à dire un ajustement à la marge risque malencontreusement d’aboutir à des changements qui ne font que dépendre des arrangements institutionnels existants et par là même les consolider. Ainsi, le changement de personnalités à la tête des institutions, telles que la Cour suprême, le Conseil économique et social, etc. reflète-t-il une réforme marginale qu’une réelle refonte. C’est plutôt la recherche de l’indépendance des institutions, incarnée par les principes fondant leurs créations, et non la probité supposée des nouvelles personnalités qui conduit à une refonte institutionnelle. Sur ce point, et à titre d’exemple, si majorité du pouvoir actuel à l’hémicycle doit être comprise comme une vraie victoire politique du RDR, il n’en demeure pas moins qu’elle soulève des interrogations quant à la pluralité que doit incarner un espace politique se voulant démocratique.

 

Un défaut de débats de fonds

 

Outre l’indépendance des institutions qui peine à être assuré, l’existence d’une opposition, d’une élite intellectuelle et d’une société civile apte à engager des débats de fonds fait défaut à l’élan de reconstruction de la Côte d’Ivoire. L’absence d’une réelle opposition ou d’un réel contre-pouvoir est constitutive du ferment pouvant conduire à rompre le fragile équilibre existant. Une nouvelle gouvernance interne, de qualité, est possible et reste le noyau dur du redémarrage de la Côte d’Ivoire.

 

Les deux autres innovations reposent sur une affirmation claire de la politique internationale de la Côte d’Ivoire. En effet, en dehors de la politique de la « main tendue » des présidents africains nouvellement élus, parler de politique internationale dans un programme politique africain reste en soi une innovation. Fort heureusement, la Côte d’Ivoire s’ouvre à nouveau au monde, mais la politique ivoirienne transgresse-t-elle cette réalité de la politique africaine ? Ainsi, au titre des deux dernières innovations politiques, l’une devra définir les rapports de la Côte d’Ivoire avec l’Afrique et l’autre avec le reste du monde. A ce propos, au lendemain de la remise en cause des accords de Linas-Marcoussis des 15-23 janvier 2003, c’est dans un élan panafricaniste douteux que la résolution du conflit ivoirien a été confiée aux pairs africains. Egalement, dans l’entre-deux-tours des élections présidentielles c’est l’Union Africaine qui fut sollicitée. L’échec de ces tentatives africaines dans la résolution de la crise ivoirienne renouvelle bel et bien la question de la définition par les africains des mécanismes de stabilisation de leurs démocraties. L’actualité récente du Mali et de la Guinée est illustrative de cette nécessité. La Côte d’Ivoire devra tirer les leçons de sa crise pour être une instigatrice inconditionnelle d’une telle réflexion. La question du «mercato » des mercenaires, la prévention et la gestion proactive des conflits armés sont des sujets à inscrire dans cette dynamique. De point de ce point de vue la coopération Ivoiro-libérienne est salutaire.

 

La dernière innovation devra, quant à elle, porter sur les relations entre la Côte d’Ivoire et le reste de la communauté internationale. En effet, elle questionne le mode de conciliation d’une relation Ivoiro-française privilégiée, héritage historique, avec une relation Ivoiro-«Reste du monde », indispensable réponse à un monde aux complexités nouvelles. Tout le monde l’aura compris, la quarantaine de séjours officiels du président Alassane Ouattara a vocation à repositionner la Côte d’Ivoire sur la scène internationale, sans comprendre le fondement de la doctrine de la diplomatie ivoirienne nouvelle.

 

La Côte d’Ivoire à l’épreuve de la refonte institutionelle

 

Certes, l’on s’en aperçoit progressivement du réchauffement des relations internationales de la Côte d’Ivoire dans un monde aux enjeux mondialisés. Ces relations ont, à bien des égards, été remises en cause pendant la dizaine d’années de crise, même si cette même communauté internationale a été au chevet de la Côte d’Ivoire dès les premières heures du conflit en 2002.

 

Si d’un point de vue de ses rapports avec extérieur, la Côte d’Ivoire redore son blason, en interne la réconciliation bat et rebat ses cartes comme elle le peut. A y voir de près, ce chantier ne pourra être mis œuvre qu’en aya   nt, préalablement, modelé un Etat de droit reposant sur des institutions fortes, transparentes, justes et indépendantes. Ceci requiert un véritable courage et une éthique politiques. Une innovation politique incarnée par une refonte institutionnelle pourra, de ce point de vue, être le facteur de cohésion nationale nécessaire pour imprimer un nouvel ordre de marche à la reconstruction amorcée - avec beaucoup de volonté - en Côte d’Ivoire.

 

Dr Seny Kan Anderson,enseignant-chercheur au Toulouse Business School (France)

 

 

Note:

1. Centre National de Recherche Scientifique (France)

 

2. Institut de Hautes Etudes en Administration Publique (Suisse)

 

3. Seny Kan, K. A., « Plaidoyer pour une innovation politique en Côte d’Ivoire » Jeune Afrique, n°2634, 3 au 9 juillet 2011

 

Auteur:
Armand Tanoh

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