Ancien Garde des sceaux et ancien ministre de la Microfinance et de l’Emploi des jeunes et des femmes du Benin. Elle est expert international et promotrice du think & do tank Team RM.
Après le passage de cette crise, comment devraient évoluer les modèles de développement et de gouvernance des États Africains ?
Cette crise est une opportunité pour l'Afrique de repenser son modèle de gouvernance et surtout de développement. Car, en plus de déconstruire toutes nos certitudes, elle nous livre une nouvelle façon de saisir le monde qui oblige aussi à remodeler nos écosystèmes politiques et économiques. Cette crise a le mérite d'accélérer la remise en question de l'efficacité de nos systèmes de santé publique. En Afrique, nous sommes en moyenne à 0,25 médecin et 1,4 lit d’hôpital pour 1 000 personnes. Le Covid-19 nous fait donc réaliser notre réelle incapacité d’assistance s'il y avait un déclenchement extrême. D’ores et déjà, plusieurs pays doivent élaborer une offre sanitaire plus large avec une précision sur les capacités hospitalières dans une approche de mutualisation entre les pays pour bénéficier d’économies d’échelle et en associant le privé à l’investissement et à la gestion des centres hospitaliers pour assurer leur pérennité. Par exemple, le royaume chérifien qui disposait de 1 670 lits de réanimation avant la crise s'est fixé l’objectif de 4 000 désormais. Cette pression fera expérimenter de nouvelles méthodes alternatives de gouvernance politique. Sur le plan économique, un avantage majeur est à relever. Il s’agit du leadership actuel des dirigeants africains qui parlent d’une même voix autour du président en exercice l’Union africaine, Cyril Ramaphosa, relativement aux grandes questions macroéconomiques, telles que la dette. Au demeurant, les États africains devront remettre à plat leur modèle inspiré du capitalisme sauvage et des inégalités qui en découlent au profit d’une économie de marché plus solidaire orientée vers le capital humain et basée sur l’investissement productif. Le « social productif » est également à promouvoir et porte la promesse d’une croissance inclusive. Au Kenya par exemple, près de la moitié de la population s'approvisionne auprès de coopératives dont les recettes vont directement aux producteurs. L'enjeu et l'urgence seront pour les pays de construire des économies fondées sur de nouveaux mécanismes de solidarité, de redistribution des ressources et de cohésion sociale et privilégiant les réponses aux enjeux de développement durable. C’est aussi plus que jamais le moment de prioriser l’agriculture pour créer massivement des emplois et de faciliter l’accès au crédit aux producteurs, aux artisans et aux femmes.
Comment les États africains ont-ils géré la crise économique et sanitaire ?
Dans leur grande majorité les pays africains, après avoir pris conscience de l'ampleur du drame qui se jouait, ont pris des mesures fortes. Pour limiter la transmission du virus et freiner sa propagation, toute une batterie de mesures a été expérimentée : l'état d'urgence ou un couvre-feu, en passant par l'interdiction d'attroupement au dépistage massif et le port obligatoire de masques. Cela ne saurait occulter, hélas, les bavures policières qui ont pu jalonner parfois le chemin du difficile respect de certaines mesures restrictives, pour des populations africaines dont 75% vivent de l’informel, au jour le jour. La riposte africaine s'est toutefois organisée. La résilience actuelle démontre en partie que ces mesures n’ont pas été inefficaces. L'autre défi est de veiller à ce que la crise ne se transforme pas en catastrophe humanitaire et en fracture sociale. Certains pays l'ont compris. C'est le cas du Sénégal, du Gabon, du Maroc, du Togo et dans une certaine mesure la Côte d'Ivoire, qui ont eu à cœur d’inclure la dimension sociale et économique dans leur traitement dela pandémie.
Quelles mesures devraient être adoptées pour protéger les entreprises les plus vulnérables pendant et après cette pandémie ?
Les gouvernements, les banques centrales et les organisations sous régionales ont réagi en prenant de fortes mesures discrétionnaires budgétaires et monétaires. Ils semblent avoir perçu tous les dommages que la crise sanitaire peut entraîner pour les petites entreprises, les institutions financières qui les soutiennent et, globalement, l’activité économique. Il est urgent de protéger les personnes et les entreprises les plus vulnérables. Créer un cadre spécial de mécanismes de résilience. Il s’agirait d’envisager la généralisation bien organisée des banques alimentaires à laquelle il faut associer des directives sanitaires et d’hygiène et des mesures économiques incitatives. Protéger les entreprises les plus vulnérables impose une politique fiscale exceptionnelle. Les fonds mobilisés pour faire face à la crise doivent être fléchés, notamment le refinancement des institutions de microfinance pour les aider à rester solvables et liquides afin d’arroser les acteurs de l’économie réelle. Il est donc nécessaire de recapitaliser les institutions de microfinance pour qu’elles puissent reprendre leur activité de prêt et jouer ainsi pleinement leur rôle dans la relance économique post-crise.
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Auteur: LDA Journaliste