Analyse-Nigéria/ Boko Haram : la fin avec Buhari ?

Boko Haram. La groupe terrosiste est à l'origine de nombreux attentats et massacres à l'encontre de populations civiles de toutes confessions au Nigéria, au Cameroun, depuis sa création en 2002, et bientôt toute l’Afrique de l’Ouest. Toute chose qui lui a valu d’être classée parmi les mouvements terroristes du monde par le Conseil de sécurité des Nations unies. Avec l’arrivée de Mohammadu Buhari, un général à la retraité, à la tête du pays peut-on s’accrocher à un brin d’espoir que Boko  Haram a désormais un adversaire à sa mesure?

Boko Haram  ou l’application de la charia 

Selon la petite histoire, c’est Mohamed Yusuf qui a créé Boko Haram en 2002. Il avait pour but de prôner un Islam radical avec à la clé l’application de la charia. Le nom d’origineest Jama'atu Ahlis Sunna Lidda'Awati Wal-Jihad qui signifie « groupe sunnite pour la prédication et le djihad ». Boko Haram, de sa dénomination abrégée en haoussa, peut être traduit par « l'éducation occidentale est un péché ». Mais certaines langues soutiennent que l’organisation terroriste était au départ une cellule de renseignement mise sur pied par des puissances étrangères. C’est bien ce que pense Keith Harmon Snow, journaliste indépendant, de l’organisation terroriste nigériane : « Boko Haram est une création de la CIA. Il a été créé par des agents de renseignement soutenus et armés par des factions connectées aux États-Unis, grâce à l’Arabie Saoudite ». Un avis balayé du revêt de la main par d’autres opinions qui pensent qu’il ne peut en être le cas. Ce qui est sans ambiguïté, les premières attaques meurtrières du mouvement jihadiste ont lieu le 26 juillet 2009 dans quatre États du nord du Nigeria (Bauchi, Borno, Yobe et Kano). Les quatre villes les plus touchées par les combats sont : Bauchi, Wudil, Potiskum et Maiduguri. Le bilan fait état de 700 morts, dont au moins 300 militants islamistes. Aujourd’hui la secte islamiste est dirigée par Abubakar Shekau après la mort du fondateur en 2009. En mai 2013, l’armée nigériane lance une grande offensive contre ces terroristes. Le président Goodluck Jonathan proclame alors l'état d'urgence dans trois États du nord-est du pays : Borno, Yobé et Adamawa. En août 2014 la secte islamiste passe à son tour à l'offensive et commence à conquérir plusieurs villes du Nord du pays : Gwoza, Buni Yadi, Damboa, Bama, Pulka, Ashigashia, Liman Kara, Kirawa, Gamboru Ngala, Marte, Kirenowa, Baga… tombent sans résistance aux mains des jihadistes. De milliers de morts. Le massacre de 2000 personnes dans la ville de Baga émeut le monde entier jusque là resté silencieux face aux attentats de ces « fous d’Allah ». Et de nombreux déplacés enregistrés. Ainsi Boko Haram fait du Nord du Nigéria « son territoire » en défiant cette fois toutes les armées de l’Afrique de l’Ouest. Il faut compter avec la continuité des massacres et des prises d’otage : celui de plus 200 lycéennes et des villes totalement rayées sur la carte du pays. Le bouquet final, son allégeance le 7 mars 2015, à l'État islamique, ce que ce dernier reconnaît officiellement cinq jours plus tard. D’ailleurs la passivité d’Abuja permet à l’organisation d’enregistrer dans ses rangs de nombreux adeptes estimés de 6 000 à 30 000 combattants, depuis 2014.

L’arrivée de Buhari ou la fin de Boko Haram ?

Au Nigéria, l’arrivée de Mohammadu Buhari au pouvoir le 28 mars 2015 avec 53,95% des voix suscite beaucoup d’espoir dans la lutte contre l’organisation terroriste. Le nouveau président de la première économie d’Afrique est un ancien putschiste réputé pour sa poigne et son intégrité.  Ce musulman de 72 ans originaire du Nord du pays en proie à la violence des combattants de Boko Haram est loin d’être un enfant de chœur. Issu d’une famille nombreuse (il est le dernier d’une fratrie de 23 enfants), le candidat du All Nigeria Peoples Party (APC) s’est marié deux fois et a eu dix enfants. Cet homme politique s’est exprimé publiquement lors d’un séminaire en faveur d’une application totale de la loi islamique dans tout le pays. "Si Dieu le veut, nous n'arrêterons pas l'agitation pour la mise en œuvre totale de la charia dans le pays", avait-il déclaré en 2011. Mais curieusement en janvier 2015, en pleine campagne électorale, il avait rectifié le tir en défendant la liberté de culte, rappelant au passage n’avoir jamais imposé la charia lorsqu’il était au pouvoir entre 1983 et 1985. En outre, la vie militaire de Buhari pourrait être un atout pour combattre Boko Haram. Il devient officier général des forces armées nigérianes en 1980. Sa carrière militaire, il l’a construite après plusieurs années de perfectionnement en Grande Bretagne.  Il deviendra un putschiste en participant en 1966 au coup d’État mené par le lieutenant-colonel Murtala Muhammed pour renverser le régime d’Aguiyi Ironsi. Il prendra lui-même le pouvoir à la suite d’un coup d’Etat en décembre 1983 en renversant le président Shehu Shagari élu en 1979. En août 1985, il sera à son tour chassé du pouvoir par le général Ibrahim Babangida. Les vingt mois de gestion du pays du général Buhari sont relatés comme de mauvais souvenirs pour les Nigérians. L’homme avait une méthode très rude. La "méthode Buhari". Le quotidien britannique The Telegraph  indique par exemple que la tricherie lors d'examens universitaires pouvait conduire à une peine d’emprisonnement de vingt ans et que les fonctionnaires étaient soumis à des punitions physiques en cas de retard au travail. En 1984 et en 1985 alors que l'Afrique de l'ouest traversait une grave crise alimentaire, Buhari avait fait expulser plusieurs centaines de milliers de Nigériens vivant alors au Nigeria. Aujourd'hui encore l'épisode de cette famine est surnommée "El-Buhari" à l’est du Niger. Bref, Buhari est un homme de caractère qui ne recule devant rien(3 fois candidats malheureux à la présidentielle). Il pourrait se présenter comme l’espoir dans l’éradication du groupe islamiste Boko Haram, D’ailleurs, il en a fait l'un de ses principaux défis. "Je peux vous assurer que Boko Haram va vite mesurer la force de notre volonté collective et de notre engagement à débarrasser la nation de la terreur et pour ramener la paix", a-t-il déclaré au lendemain de sa victoire. Il n’avait pas apprécié du fait que Goodluck Jonathan avait mis du temps à équiper l’armée nigériane. "Pourquoi avoir pris si longtemps avant d'équiper notre armée ? Cette coalition (Nigeria/Tchad/Niger/Cameroun) aurait dû être créée il y a cinq ans !", s’est-il confié à Jeune Afrique, quelques jours avant d'être élu. Il est reconnu comme un adepte de la coopération transfrontalière.

Une stratégie commune de lutte

Tout le monde reste convaincu qu'on peut arrêter Boko Haram et mettre fin au règne de cette secte terroriste. Il suffit que les Etats menacés avec leurs alliés forment un front commun. Une coopération régionale pour une action commune. C’est vrai que le laxisme de M. Goodluck Jonathan face à la secte avait commencé à irriter certains présidents de la sous-région. Paul Biya, Idriss Déby Itno, Mamadou Issoufou, tous étaient particulièrement irrités par l'attentisme et le manque de coopération de l'armée nigériane. "Le constat que je peux faire, deux mois après le début de cette guerre, c’est que nous n’avons pas pu avoir un contact direct, sur le terrain, avec des unités de l’armée nigériane. C’est ce qui a, plus d’une fois, obligé les forces tchadiennes à reprendre des villes et à ressortir", a déclaré le président tchadien dans une interview à l'hebdomadaire français Le Point. Et d’ajouter : « Je pense qu’il faut mettre en place « la force multinationale ». "La seule manière de rendre la coopération régionale plus efficace est de mettre en place une force conjointe, avec un commandement unique", estime pour sa part Mohamed Ibn Chambas, représentant spécial de Ban Ki-moon pour l’Afrique de l’Ouest. Bien évidement pour réussir une telle action, il faut des fonds qui pourraient servir à payer des armes et prendre soin des troupes de la coalition. Ainsi la Communauté économique des États de l'Afrique centrale (Ceeac) avait promis contribuer à la lutte en créant un fonds de solidarité de 50 milliards de F CFA (76 millions d'euros) destiné à aider le Tchad et le Cameroun à lutter contre Boko Haram. L'Angola, le Congo, le Gabon et la Guinée équatoriale devraient verser 10 milliards de F CFA. La RD Congo et le Burundi, 5 milliards. La Centrafrique n'a pas été sollicitée à cause de la situation actuelle du pays. Abidjan également a décidé de l’envoi de troupes au Nigéria, selon la UNE du quotidien gouvernemental Fraternité Matin du mardi 24 mars 2015. C’est pourquoi, l’idée de la CEDEAO de tenir un sommet conjoint des chefs d'État d'Afrique centrale et de l'Ouest à Malabo, en Guinée équatoriale, dans le but d'adopter une "stratégie commune de lutte" contre Boko Haram, ne doit pas s’envoler. C’est le moment d’être solidaire entre Etats, parce que quand la case du voisin brûle , c’est que le feu peut atteindre à tout moment la notre.

Une probable victoire à l'avenir

Voilà six ans que Boko Haram sème la terreur en plein cœur de l'Afrique. Six ans que le mouvement intégriste profite de sa position dans le Nord-Est du Nigeria, à la frontière avec le Tchad et le Cameroun, pour semer mort et désolation. Mais l’espoir est permis avec les changements de ces derniers temps à la tête du Nigéria et la volonté manifeste des pays de la CEDEAO et de la Ceeac à décimer la nébuleuse. Si le mouvement jihadiste doit régner, il finira par menacer les transactions économiques importantes entres ces Etats frères. Une raison de plus pour les armées des Etats frontaliers de se sentir concerner pour mettre fin à la menace régionale. L'armée tchadienne, la plus puissante de la région centrale, a été la première à lancer le mouvement en janvier dernier. Aujourd'hui, les armées de cinq pays sont unies pour lutter contre un ennemi commun, et 8.700 soldats, soit 1.200 de plus que le contingent initialement prévu. Le signe d'une volonté ferme de ces pays frontaliers de se débarrasser d'une menace sans cesse grandissante, laisse augurer d’une probable victoire à l’avenir.  

Daniel Coulibaly

Auteur:
Armand Tanoh

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