Côte d’Ivoire-Migration illégale : Témoignage d'un un rescapé ivoirien sur la périlleuse traversée de la méditerranée (Feature)

Jeune ivoiro-burkinabé, I.B ne cessera jamais de remercier le ciel pour avoir échappé aux balles assassines des Jihadistes libyens et se retrouver en Italie, terre d’accueil de milliers de migrants africains. Dans un entretien avec l’AIP, depuis l’Italie, le rescapé a raconté son voyage périlleux, d’Abidjan en Europe, en passant par le Niger, la Lybie et la mer méditerranée.

Le spectre de la mort se dessine à partir de Niamey (Niger)

Parti d’Abidjan le 16 août 2016, I.B emprunte un car à la gare « Rimbo », à Adjamé, à 3h 30 pour Niamey, au Niger. Après trois jours de route, ses cinq camarades et lui retrouvent la capitale nigérienne, « sans danger », souligne-t-il.

Si le voyage Abidjan-Niamey s’est déroulé de tout repos, sans ennui et sans embrouille pour ce jeune homme âgé de 33 ans,  cela n’a pas été  le cas pour la destination libyenne.

« Arrivé au Niger, les dures réalités s’annoncent. Pour aller d’une ville à une autre, soit tu paies 200 000 FCFA à la police ou tu es battu comme un chien par les forces de l’ordre. Des personnes succombent suite à des blessures. Même scénario à chaque barrage, tu ne peux ni parler à un policier ou à un civil », révèle-t-il.

En destination de la Libye, selon I.B, les voyageurs sont  embarqués dans les véhicules de type pick-up roulant à 120 km/h, des  bois entre leurs jambes. Sur la route, des migrants moins chanceux tombent et meurent. Pas question de revenir en arrière. Des convois disparaissent dans le sable mouvant du désert. A leur trousse, la présence des coupeurs de route, ces bandits de grand chemin qui tirent à tout bout de champ. La vie s’arrête là pour certains et l’aventure continue pour d’autres après ce cauchemar qui peut durer 3 à 10 jours, fait-il savoir.

Vendus comme esclave à 100.000 FCFA et rachetés à 150.000 FCFA en Libye

« En Libye, vous avez l’impression de vivre dans une prison », laisse entendre l’enfant de Yopougon. Traversant les villes de Saba à Benwalid, pour atteindre les bords de la méditerranée, I.B et ses camarades ont été vendus comme esclaves au prix de 100.000 FCFA et revendus à 150.000 FCFA à un autre acheteur. « De vendeur à acheteur, les enchères montent », précise-t-il.

Dans ce pays de Mouammar Kadhafi où aujourd’hui kidnapping et trafic de drogue représentent la première richesse du pays, deux possibilités s’offrent aux migrants pour sortir des griffes des marchands d’esclaves et éviter la torture jusqu’à mort : payer la caution d’un montant qui varie entre 180 000 FCFA et plus aux forces libyennes, ou choisir  la voie de l’évasion. « Durant quatre mois, je suis allé de prison en prison », raconte I.B.

Une fois hors de danger, pour aller d’une ville à une autre, les migrants sont transportés dans des camions citernes ou bâchés, entre  animaux, sable, graviers, herbes ou vivres. Les plus chanceux se retrouvent dans des coffres de voiture.

Trois mois à dormir à même le sol au bord de la mer 

IB, le rescapé de la migration clandestine en Europe

I.B, le rescapé de la migration clandestine en Europe

De Tripoli au bord de la méditerranée, avant-dernier rempart pour arriver à la « terre promise », les poursuites s’intensifient. Les noirs, bien précieux pour les arabes libyens, sont encore pourchassés.

« J’ai passé trois mois en bordure de mer sans me laver. Avec le même vêtement, je suis resté durant l’hiver, je dormais à même le sol. Des amis ont été paralysés par le froid, d’autres sont morts. Quand il pleut, tu es obligé de t’arrêter. Après la pluie, soit tu te recouches avec les habits mouillés, soit tu restes débout toute la nuit. Quelle que soit ta maladie, tu es traité avec du Panadol, le seul comprimé disponible. Les hôpitaux ne sont pas faits pour les noirs », souligne-t-il.

I.B s’est vu obligé de consommer la drogue pour dissiper le stress et supporter les coups de ces « tuteurs » qui continuaient de les battre et les emprisonner voire tirer à balle réelle sur eux. « Des femmes sont violées sous le regard impuissant de leurs maris et enfants », déplore-t-il.

Durant la traversée de l’eau, le « miraculé », s’il faut le dire, témoigne avoir assisté à de nombreux naufrages. Il estime que cela  est dû à la mauvaise organisation des voyages. « Les gens vous font traverser sans tenir compte de la météo, de l’état du bateau et des compétences du pilote, et de surcroît de la surcharge », décrit-il, rapportant avoir vu une jeune fille sauvée des eaux pendant que ses deux enfants ont péri.

Sur l’eau, des bandits sévissent. Ils agressent les voyageurs dans le but de les ramener en Libye pour les vendre comme esclaves. « Moi, j’ai eu la chance de traverser en moins d’une heure trente. Il n’était pas question de retourner pour moi, soit rentrer en Italie ou périr. Même à mon ennemi, je défendrai d’emprunter la voie de ce trafic », s’insurge-t-il.

Aujourd’hui I.B a été recueilli par l’ONG ‘Freedom’ située à San Giovanni Incarico, dans le département de Frosinone, où il étudie la langue italienne à l’école Ceprano.

Plus de 5 000 migrants sont morts en Méditerranée en 2016, selon l’OIM

Selon l’Agence internationale de la migration (OIM), plus de 5 000 migrants sont morts en Méditerranée en 2016. Quelque 53 912 migrants et réfugiés sont entrés en Europe par voie maritime au 14 mai 2017, avec près de 85% en Italie. Le reste réparti entre la Grèce, Chypre et l’Espagne. Un nombre jugé très bas comparativement  aux 189 075 arrivées de l’année dernière dans la région à la même période.

Près de 12 000 migrants ivoiriens dont 1200 mineurs ont été recensés en Libye en 2016, selon Djénéba Konaté, la coordonnatrice de l’OIM en Côte d’Ivoire. Le gouvernement, par le truchement du ministère des Affaires étrangères et celui de l’Intégration africaine et des Ivoiriens de l’extérieur, multiplie les efforts pour lutter contre le fléau. Plus de 300 migrants ivoiriens ont regagné Abidjan depuis mars 2017.

Lors d’une allocution au Parlement européen en juin dernier  en France, le président Alassane Ouattara a mis un accent sur le phénomène des flux migratoires vers l’Europe par les eaux méditerranéennes. Pour lui,  la lutte contre la pauvreté, le chômage et le déficit de démocratie dans de nombreux pays « contribueront à la réduction des flux migratoires illégaux vers l’Europe ». Une question qui a fait l’objet du 29e sommet de l’Union africaine tenu les 3 et 4 juillet à Addis-Abeba, à travers le thème de l’emploi des jeunes.

La semaine dernière, l’édition 2017 du Prix Houphouët-Boigny pour la recherche de la paix a été remis à Giuseppina Nicolini, maire de la ville de Lampedusa (Italie), ainsi qu’à l’ONG SOS Méditerranée (France) pour leurs efforts déployés en vue de sauver la vie des réfugiés et des migrants et de les accueillir avec dignité. Aimé Henri Konan Bédié, président du PDCI-RDA, garant du prix Félix Houphouët-Boigny et le président AlassaneOuattara ont assisté à la cérémonie qui s’est déroulée au siège de l’UNESCO à Paris, en France.

Auteur:
LDA Journaliste

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