Chronique satirique/ La Lettre de Dangui (1): L'éveil

 

Je dédie cette lettre à tous mes frères, chômeurs et sans emplois (et Dieu seul sait à quel point ils sont nombreux), en proie au doute et à l’incertitude, même devant les promesses de la Côte d’Ivoire nouvelle.

 

 

Cher ami Zokou,

 

                        Nous voici encore,  fut-il sous un jour nouveau, embarqués dans le vaisseau de nos rêves respectifs pour une nouvelle aventure. En effet, depuis que tu nous as quittés pour aller te chercher derrière l’eau, la situation n’a pas trop évoluée ici. Toujours des demandes d’emplois ! Toujours jamais d’échos ! « Pas d’embauche ! ».  Alors que l’âge avance et le pain quotidien ne se négocie pas. Comment s’empêcher ainsi d’être parfois un poids mort pour la famille qui a tout donné pour nos études et qui s’essouffle de plus en plus ?  Et pourtant pouvions-nous, ô cher ami, à cette époque où nous étions bercés, t’en souviens-tu, par les perspectives hautement en couleurs que nous offrait l’obtention de notre baccalauréat, la fin de nos études supérieures ou universitaires… ?  Pouvions-nous, dis-je, soupçonner, que nos rêves allaient se décolorer, nos espoirs s’évaporer, à l’épreuve inattendue de cette dernière décennie de méchanceté politique?

 

Ici à Abidjan, les relations continuent de valoir mieux que diplômes. En tout cas, cette « vérité »,  je l’ai appris à mes dépens : chaque jour est une nouvelle aventure avec ses nuages d’intrigues, de stress, d’incertitudes ;  auxquels se mêle l’équation toujours à résoudre du pain quotidien.  L’alcool, la cigarette, la drogue, la prostitution ..., au cœur de l’oisiveté et du doute,  m’avaient promis de sécher mes larmes, même de m’ouvrir des portes... Mais, j’ai peur mon cher Zokou, très peur de décevoir ma mère qui, ayant tant souffert pour moi depuis la mort mon père, ô paix à son âme,  n’attend plus que je n’épice la poignée de jours qui lui reste encore ici-bas.

 

« Et les concours…, mon enfant ? », m’a-t-elle encore demandé hier. « Je passe les concours maman… », lui ai-je encore répondu, l’ayant compris,  bien au-delà des mots.  «  Vois-tu maman, pour les concours, il faut de l’argent… les dossiers,  les courses, les pots de vins …, il faut de l’argent maman », lui ai-je expliqué. A ces mots, un moment de silence, puis deux traînées de larmes descendirent silencieusement sur ses joues, ou je lisais presque pour la première fois, les ravages de la vieillesse accentuées par la dureté des travaux champêtres, son lot quotidien.  Mais je t’assure mon ami, ces larmes-là ont du réveillé, dès ce jour, quelque chose en moi. Oui, ce quelque chose qui semblait, à la racine de mon âme, dormir jusque-là ? Ce fut, en tout cas, une sorte de révolution intérieure cher ami, avec ce vent de révolte sournoise qui tourne presque toujours la page d’une vie.

 

 Devrais-je ainsi accepter de venir accompagner les autres sous le soleil, avec l’inconvénient certain de ne pas  pouvoir donner le sourire à cette pauvre femme qui à tout fait pour moi? Ces hommes, ces femmes des quatre coins du monde, dont j’ai eu à en entendre parler, non sans être infiniment émerveillé, ont rendu illustre le nom qu’on leur avait parfois transmis sans gloire, en l’écrivant même souvent dans le livre d’or de l’humanité.  Alors… Pourquoi pas moi !? Voici pourquoi, ce matin je me suis levée de bonheur pour t’écrire cette lettre. Je n’ai pu dormir toute la nuit écoulé. J’ai parcouru toutes ces lectures sur la trajectoire de ces grands hommes, qui me passionne tant. En espérances d’y trouver les aliments de mon rêve d’en être un. En tout cas avant que la flamme de ma bougie ne s’éteignent.

 

Dangui Dangui. E-mail :Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

 

Auteur:
Armand Tanoh

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