Nigeria : soulagement de la diaspora ivoirienne après une élection tendue

Le volume de la musique est presque aussi fort que dans un maquis de Yopougon, mais ce n’est pas du coupé décalé que passe le DJ. Ici, à Lagos, le R’n’B nigérian est roi, même dans un maquis tenu par une Ivoirienne. Samedi 4 avril, lors de l’inauguration, Maman Claire retourne les poulets et les poissons qu’elle fait braiser sur un barbecue, dans la cour de l’hôtel KDT, à Ajah, un quartier populaire de la capitale économique nigériane.

« Tout ce que les Ivoiriens peuvent avoir en Côte d’Ivoire, on le trouve ici. Même l’atiéké que ma mère m’envoie d’Abidjan par bus », explique la jeune femme de 34 ans. Maman Claire a perdu son emploi de restauratrice au BNEDT, le Bureau national d’études techniques et de développement, lors de la tentative ratée de coup d’Etat en 2002 en Côte d’Ivoire. Embauchée comme servante, elle suit sa patronne dont l’époux travaille au Nigeria. Une expérience qui lui permet de découvrir le terrain et de revenir quelques années plus tard pour ouvrir son propre maquis. « Mon premier coin a été détruit par des personnes jalouses, mais j’ai réussi à rebondir et je prends aujourd’hui en charge mes deux sœurs, un petit frère et ma fille, annonce fièrement Claire. Je lui paie l’école à Lagos, même si c’est cher. Ici, il y a du travail, donc si tu es courageux, tu peux t’en sortir. »

Les vieux démons

Ils sont environ 500 Ivoiriens à vivre dans cette partie de la mégalopole nigériane, tellement immense qu’il est impossible d’en connaître le nombre d’habitants, évalué entre 10 et 25 millions. Ils sont plusieurs dizaines ce samedi soir dans ce maquis, une semaine après un vote sous tension, qui les a replongés dans de mauvais souvenirs.

Antoine est tailleur, et comme Claire il est arrivé au Nigeria après l’une des nombreuses crises qui ont émaillé l’histoire récente de la Côte d’Ivoire. En 2011, la clientèle s’est raréfiée dans son atelier de Divo, il a alors appelé un ami qui lui avait souvent parlé des opportunités au Nigeria. Une fois arrivé à Lagos, il a pourtant vite déchanté.

« Ma patronne ne voulait pas que les clients me voient, et elle me faisait croire que je me ferais agresser si je sortais et si je voyais mes frères ivoiriens, se souvient Antoine. Le temps que tu réalises que c’est faux, elle t’aura exploité et payé un salaire en dessous de la normale », précise-t-il. Malgré cette désillusion, Antoine réussi à ouvrir son propre atelier en deux ans et demi. « C’est vrai que les Nigérianes sont dures, mais quand elles sont contentes, elles savent te remercier », apprécie le jeune père de famille, qui compte bien développer son entreprise.

« Ne vous mêlez pas de politique ! »

C’est parce qu’ils connaissent bien les ravages que peuvent créer les conflits électoraux que les Ivoiriens de Lagos ont beaucoup appréhendé le scrutin présidentiel nigérian. « J’ai fait partir ma femme enceinte au pays, explique Antoine, en soupirant. J’ai tout perdu après la crise de 2010-2011 en Côte d’Ivoire, je ne voulais pas que ça se reproduise ici. » Les consignes données par l’Union des Ivoiriens de Lagos, dont Antoine est le secrétaire général, étaient très claires : restez chez vous. Ils ont suivi de près le long déroulé de l’annonce des résultats, qui s’est étalé sur deux jours.

Si le calme relatif du jour du vote les a rassurés, ils ont pris peur lorsqu’un représentant du PDP, le parti du président sortant Goodluck Jonathan, a mobilisé le micro au siège de la commission électorale à Abuja pendant plusieurs minutes, en mettant en cause l’intégrité du président de l’institution.

« On a eu peur, ça nous a rappelé ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire, se souvient Antoine. On sait jusqu’à quel point ça peut dégénérer quand quelqu’un commence à contester. » Les Ivoiriens sont ainsi d’autant plus capables de reconnaître la valeur de l’appel téléphonique de Jonathan à Muhammadu Buhari, reconnaissant la victoire de ce dernier. Mais ils gardent leur fierté, en refusant d’aller jusqu’à reconnaître que le Nigeria est plus mature politiquement que la Côte d’Ivoire.

 

 

Source: lemonde.fr

Auteur:
Armand Tanoh

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