Aéroport d’Abidjan : L’Aérocité, un grand rêve qui risque de ne pas se réaliser

Des potentiels investisseurs intéressés, mais tiédis par la lenteur du dossier. Des occupants illégaux installés depuis des décennies sur site devant l’abriter, qui refusent catégoriquement de libérer les lieux, défiant le gouvernement. L’Aérocité, projet phare du transport aérien en Côte d’Ivoire après la certification de l’aéroport d’Abidjan à la norme américaine TSA, devient de plus en plus une chimère. Tant le gouvernement à maille à partir avec les milliers de familles installées irrégulièrement sur la zone d’impact du projet, tout autour de l’aéroport. 

Adjouffou, Gonzagueville, Jean Folie… des quartiers précaires et populaires, très peuplés, dont les habitants restent hermétiquement fermés à toute idée de quitter les lieux. Une situation dont la complexité nécessite un retour sur l’histoire du peuplement de ces secteurs.

Historique d’un peuplement

En effet, l’arrivée des premiers habitants de ces quartiers remonte aux années 1950, avec la creusée du canal de Vridi dont des ouvriers y avaient érigé des abris de fortune pour se rapprocher de leur lieu de travail. Il s’agissait, à cette époque, essentiellement de personnes d’origines étrangères, notamment de pays de l’Afrique de l’Ouest. A ceux-là, majoritairement Maliens et Burkinabè (voltaïques à cette époque), viennent se greffer des pêcheurs ghanéens et béninois, qui y bâtissent des cabanes, pour leurs différents séjours sur la côte abidjanaise.

Puis, avec le développement de la zone portuaire et l’implantation accélérée d’usines et d’entrepôt à Vridi, mais aussi la construction du Wharf de Port-Bouët, des employés et ouvriers de ces entreprises et chantiers, comprenant cette fois-ci des Ivoiriens, vont s’ajouter aux premiers habitants des lieux.

Ainsi de suite, jusqu’à ce que, dans les années 1970, le premier président ivoirien Félix Houphouët-Boigny, dans sa vision de doter la Côte d’Ivoire d’un aéroport moderne, avec un cité aéroportuaire à la dimension du miracle économique que vivait le pays au même moment, décide de recaser les occupants des quartiers riverains de l’aéroport, quelque 500 familles, sur de nouveaux sites.

Les sites de "Nouveau Koumassi", "Marcory Sans Fil" et le plateau du Banco à Yopougon, qui sera plutôt rebaptisé Port Bouët 2, sont retenus pour cette opération. Mais Port Bouët 2 constitue le principal secteur désigné par l’administration pour recaser la majorité des déguerpis. Tout se passe comme prévu, même si les promesses de lotissement, de viabilisation et de construction d’infrastructures pour Port-Bouët 2, ne sont pas entièrement tenues par l’Etat. Toute chose qui éloigne les habitants de ce quartier du centre-ville, et de leur lieu de travail.

Le miracle économique ivoirien douché par la détérioration des cours du café et du cacao sur le marché international à la fin des années 1970, le projet d’élargissement de l’aéroport est rangé au placard par le gouvernement, le temps de faire face à la crise. C’est ainsi que des habitants de Port-Bouët 2, mais aussi d’autres anciens déguerpis, revendent leurs nouveaux terrains et domiciles, et viennent se réinstaller dans les environs de l’aéroport pour se rapprocher de leur lieu de travail. "On les avait déjà prévenus dès le départ que le jour où l’Etat aura besoin de sa terre, il va les déguerpir et ils étaient d’accord", clarifie un agent de la mairie de Port-Bouët.

Les autorités ivoiriennes restant inactives devant ce nouveau mouvement de peuplement des alentours de l’aéroport, les installations anarchiques vont se suivre par vagues successives jusqu’à ce qu’à qu’on ait affaire à ce jour à plusieurs quartiers à forte concentration démographique. Selon une source proche du ministère du Transport, l’on peut estimer à au moins 10.000 le nombre de familles concernées par la zone d’impact du projet de l’Aérocité, entre-temps sorti du tiroir par l’actuel président Alassane Ouattara.

Aujourd’hui, le gouvernement, qui tient fermement à réaliser ce grand chantier, doit affronter l’intransigeance des habitants des secteurs périphériques de l’aéroport, dont le déguerpissement, en l’état actuel des choses, relève d’une véritable quadrature du cercle. Récemment, une tentative de déguerpissement dans la même commune dans le cadre de la construction de l’autoroute Abidjan-Grand Bassam a soulevé de vives tensions entre populations et forces de l’ordre dans le village Anani. Pourtant vu les enjeux socioéconomiques du projet, un recul du gouvernement ne devrait pas être envisageable. "Les tractations se poursuivent", dit-on.

Enjeux socioéconomiques d’un projet qui vaut 1000 milliards

 

Aérocité 3

L’Aérocité d’Abidjan consiste en la réalisation d’une véritable ville aéroportuaire. Un vaste espace de 3700 hectares dans le périmètre de l’aéroport Félix Houphouët-Boigny, qui abritera hôtels, supermarchés, parcs d’exposition et autres infrastructures commerciales. Bref, quartier d’affaires répondant aux meilleures normes internationales. Mais pour la réalisation de cette merveille aux 30 mille emplois en perspective, l’Etat ivoirien devra mobiliser la bagatelle de 1000 milliards de francs CFA.

Une somme qui, selon bien d’experts, n’est pas impossible à rassembler, vu que l'affluence va booster avec la certification américaine, qui aussi permettre à plusieurs compagnies et pays à ouvrir des lignes directes avec Abidjan. Mais pour ce faire une accélération du dossier de l'Aérocité est nécessaire pour rassurer les partenaires et investisseurs qui commencent à refroidir leurs ardeurs pour le projet, à cause de sa lenteur.

Fiche Technique

Ce Projet prévoit la construction d’hôtel de luxe dont les premières, Radisson Blue, Onomo, sont déjà sortis de terre, quand un complexe immobilier comprenant 40 à 50 villas dans un compound sécurisé devra être réalisé.

L’Aérocité d’Abidjan, c’est aussi un parc aquatique de plusieurs hectares, avec des bungalows (hébergements touristiques), un hôtel 5 étoiles, des bureaux et des commerces, un parc des expositions-centre de congrès proposant à terme 27.000 m2 de surfaces d’expositions, extensibles à 10.000m2 (parvis aménagé), et un parking de 1100 places.

Alors, peut-on construire sans nuire ? Peut-on préparer des omelettes sans casser d’œufs ? Le gouvernement doit prendre ses responsabilités si l’émergence aéroportuaire figure vraiment sur son tableau de bord pour la perspective 2020. Sinon, l'Aérocité restera encore longtemps un beau rêve couché sur du papier. Car le meilleur décollage de l'économie ivoirienne, c'est celui qui se fera à partir de l'aéroport Félix Houphouët-Boigny d'Abidjan.

Armand Tanoh

Auteur:
Armand Tanoh

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