Bitume carrément arraché du sol par endroits, nids de poules, crevasses, l’axe Gagnoa-Oumé-Yamoussoukro, allant du Centre-Ouest au Centre de la Côte d’Ivoire, qui a subit des traitements d’appoint courant 2013, est depuis près d’un an à nouveau fortement dégradée, causant de nombreux désagréments aussi bien aux usagers qu’aux populations riveraines, a constaté l’AIP, lors d’un parcours de ce tronçon fin mars 2016.
Longue d’environ 130 km, cette voie qui se fend également d’une autre voie à partir de Kocoumbo, entre Oumé et Yamoussoukro, allant jusqu’à l’autoroute du Nord au niveau de Toumodi, est quasi impraticable.
En milieu de matinée, ce mercredi 30 mars 2016, les quelques véhicules et engins à deux roues qui s’y aventurent sont engagés dans un jeu de zigzag permanent pour éviter les trous et autres nids de poule jonchent le macadam et dont certains s’étendent sur deux voire trois mètres.
Cela, en dépit du fait que le tronçon partant du fleuve Bandama dans la sous-préfecture de Kocumbo à Yamoussoukro, ainsi que celui allant à l’échangeur de Toumodi, ont été renforcés à la faveur de la visite d’Etat du Président Alassane Ouattara dans la région du Bélier, du 11 au 14 décembre 2013.
Cet état de la voie dont le bitume est à plusieurs endroits carrément arraché du sol, a fini par obliger la majorité des usagers à se s’orienter vers d’autres axes routiers pour rallier Yamoussoukro.
Délaissée par les automobilistes
Depuis 2015, la nationale Gagnoa-Oumé-Yamoussoukro enregistre très peu d’automobilistes nationaux et même étrangers -en provenance des pays voisins pour le port de San Pedro-, selon certains usagers.
« Notre route est trop gâtée, à cause de ça tous les véhicules passent par Sinfra. Avant on se rendait facilement à Yamoussoukro où Abidjan, mais c’est devenu difficile de le faire depuis que les gens ont déserté notre route », se plaint Akanza N’Dri, planteur à la « Scierie Jacob », un ancien campement né d’une scierie coloniale, à 7 km Diégonéfla.
Coulibaly Anguissoro, planteur-commerçant à Ouikao, campement Baoulé situé à quelques encablures de la sous-préfecture de Diégonéfla, et traversé par la nationale Gagnoa-Oumé-Yamoussoukro, fait partie de ceux dont les activités connaissent une chute depuis que les véhicules utilitaires, de transport de marchandises et de personnes se font rares, du fait de
l’état de dégradation avancée de cette voie.
‘’Nous avons constaté depuis quelques mois, plus d’un an maintenant que les véhicules ne circulent pratiquement plus sur cette voie, et nous pensons que cela est dû au fait qu’elle est très dégradée et envahie par des nids de poule qui font que les conducteurs mettent beaucoup trop de temps pour aller soit à Yamoussoukro, Bouaké ou dans les pays limitrophes’’, s’apitoie pour sa part Coulibaly Anguissoro, planteur-commerçant à Ouikao, campement situé à quelques encablures de la sous-préfecture de Diégonéfla, et traversé par la nationale Gagnoa-Oumé-Yamoussoukro.
Au volant de son véhicule minicar bleu de transport en commun- communément appelé « Massa »-, qu’il vient de ranger sur le bas côté pour faire descendre un passager à Ouikao, Soumaïla Koné est un abonné de la ligne Gagnoa-Oumé-Gagnoa. Il n’a qu’un seul passager assis à sa droite dans la cabine de pilotage, en partance pour Gagnoa.
« On peut rouler deux jours, quatre jours, sans faire de recettes, parce que nous sommes toujours au garage à cause des pannes fréquentes occasionnées à nos véhicules par le mauvais état de la route », dépeint-il.
« Regardez, poursuit-il, on a beau éviter les trous on ne peut les éviter tous et on tombe dedans! Et puis, surtout sur le court tronçon Diégonéfla-Oumé, on ne peut même pas rouler à 70 km/heure, on est toujours entre la première et la deuxième vitesse, cela nous cause une perte de temps considérable, et on brûle aussi beaucoup trop de carburant’’.
Obligés de zigzaguer pour se frayer un chemin, les quelques rares automobilistes et autres usagers de cette route, notamment les conducteurs d’engins à deux roues sont régulièrement victimes d’accidents, comme l’explique Yao Magné Athanase dit Diaby, planteur à Lahouda, à une quinzaine de kilomètres de Diégonéfla.
« Les voitures nous coincent, on ne sait quoi faire. Tout à l’heure, il y a une voiture qui m’a coincé, c’est pourquoi on pousse nos vélos plutôt que de les monter pour éviter de se retrouver dans les ravins », dénonce-t-il, marchant et trimbalant son vélo par mesure de prudence.
Se disant dépité et fatigué de cette situation, sous le regard approbateur d’un autre planteur qui pousse aussi son vélo, M. Yao qui retourne au village après un tour au champ, où il est allé récolter du manioc, tient les tubercules contenus dans un petit sac de jute attaché à l’arrière de son engin à deux roues.
Sur cette ligne Gagnoa-Oumé-Yamoussoukro, le voyage, selon les chauffeurs, devient « interminable » surtout sur les 66 kilomètres qui séparent Gagnoa d’Oumé, avec une dégradation plus accentuée sur « les 21 petits kilomètres » reliant la sous-préfecture de Diégonéfla à Oumé.
La distance Gagnoa-Oumé qu’ils parcouraient en une heure de temps pendant que la route était bonne, les chauffeurs de la ligne se voient aujourd’hui contraints d’effectuer le même trajet en deux heures voire plus.
« La plupart d’entre nous ont fuit cette voie, et préfèrent désormais passer par Sinfra pour se rendre à Yamoussoukro, car le tronçon Yamoussoukro-Sinfra vient d’être réhabilité et offre un meilleur confort de circulation », dit le chauffeur de « Masa » Soumaïla Koné.
Daouda Nébié, pompiste dans une station d’essence de Diégonéfla, observe, impuissant, la situation. « Désormais, tout le monde préfère passer de l’autre côté, car on entend les gens dire qu’aller de Gagnoa à Abidjan, en passant par Oumé, c’est doublement plus long, on rencontre deux postes de péage sur l’Autoroute du nord, et de surcroît notre route s’est fortement dégradée en un rien de temps’’, affirme-t-il.
Ce jour, l’AIP a pu constater très peu de véhicule circuler tout le long de cette voie pourtant très stratégique pour la communication entre les localités des régions du Centre-ouest et du Centre du pays, et naguère préférée par les usagers voulant rallier les régions Ouest et Sud-Ouest à partir d’autres zones et vice versa.
Parti de Gagnoa à 10h 30, l’équipe de l’AIP n’a croisé qu’une vingtaine de véhicules utilitaires, de transport de marchandises et de personnes, dans les deux sens, jusqu’au « Carrefour de Gnamien Konankro », vers 17h.
L’abandon de la nationale Gagnoa-Oumé-Yamoussoukro, n’est pas sans conséquence sur les activités économiques des populations riveraines, notamment les habitants des campements, villages et villes, qu’elle traverse, ainsi que les opérateurs économiques installés dans la zone comme cette station-service.
Des activités économiques affectées
« Avant, ça marchait fort dans notre station, nos ventes étaient élevées mais elles ont chuté depuis que la voie Gagnoa-Lakota-Divo-Tiassalé-Abidjan a été réhabilitée et que par ici tout est redevenu comme si la route n’avait été réhabilitée qu’en 2013″, charge Daouda Nébié.
En effet, plusieurs de ces personnes s’adonnent à de petites activités génératrices de revenus aux abord de cette voie, à savoir la vente de produits vivriers, de fruits, de sandwichs, de jus, etc.
Aujourd’hui, son impraticabilité est mal vécue par ces populations qui éprouvent non seulement des difficultés pour se déplacer, mais voient également leurs petits commerces souffrir du manque de clients.
» Aujourd’hui, notre commerce de bananes est tombé et on n’a plus de revenus, parce que vous savez, sans route rien ne marche », se morfond Konan Massa Destin, jeune commerçant au « Carrefour de Tiégba », à une dizaine de km de Diégonéfla, et à une trentaine de Gagnoa.
Pour lui, le petit commerce florissant qui s’est développé au fil des ans sur cette route, avec les moments de pauses marqués par des transporteurs pour permettre à leurs passagers de se de se soulager ou de se dégourdir un tant soit peu les jambes, est en train de s’étioler.
« Depuis un moment, l’affluence devant nos produits est presqu’inexistante », appuie-t-il, pointant le mauvais état de la route. Une vue partagée par plusieurs femmes commerçantes assises, à l’abri de ce soleil de plomb, sous des hangars de fortune faits de bois et de feuilles de bambous.
L’une d’entre elles, dame Adou Lawy, ne cache pas son amertume. ‘’Regardez comment notre petit marché est vide. Quand les véhicules passaient par ici régulièrement, y avait beaucoup de commerçants dont des femmes, qui vendaient des produits vivriers, des fruits. Mais les gens n’ont plus le courage de venir vendre », fait-elle savoir.
« Pourtant, les commerçantes de ce carrefour s’occupaient de leurs familles avec les revenus provenant de la vente des produits vivriers. Ces femmes aidaient même leurs maris à scolariser leurs enfants, mais c’est devenu difficile’’, poursuit Mme Lawy.
Au « carrefour UAU » (Union agricole universelle), une plantation industrielle de caféiers coloniale située à neuf kilomètres d’Oumé, Colette Kambiré, sexagénaire, est assise un peu en retrait de la voie, dévorant une mangue, à côté d’une jeune fille, Hélène Koffi N’Guessan. Toutes deux vendeuses de mangues, elles s’apitoient sur leur sort.
« Ça ne marche plus ! », coupe la vielle, soutenue dans ses propos par sa jeune consœur qui, comme elle, propose aux clients des cuvettes de mangues proposées à 500 FCFA le contenu.
Selon ces deux femmes, avec ce que les commerçantes gagnent ici, elles s’occupent d’elles-mêmes, de leurs familles et scolarisent leurs enfants.
A une quarantaine de kilomètres de là, la même désolation et amertume se lit sur les visages d’un groupe de commerçantes du « carrefour de Gnamien Konankro », dans la sous-préfecture de Kocumbo.
Ici également, à l’instar de toutes les femmes qui proposent leurs produits vivriers et autres fruits aux passants à bords des voitures particulières ou des véhicules de transport en commun ou de marchandises, Konan Amoin, vendeuse d’escargots, s’attaque aux conséquences fâcheuses du mauvais état de la route sur leurs activités.
« Si c’était dans la bonne période où la route était praticable, avec le passage de plusieurs véhicules, cette cuvette ne serait pas encore remplie d’escargots à cette heure-ci », avance-t-elle, aux environs de 17 H, exhibant sa marchandise. Des propos corroborés par d’autres vendeuses aux alentours, dépitées par cette situation, dont profitent pourtant des jeunes désœuvrés qui procèdent au remblayage de certaines zones critiques de la voie, solliciter en retour un geste pécuniaire de la part des automobilistes.
Petites affaires pour les jeunes désœuvrés
Sur le long de la nationale Gagnoa-Oumé-Yamoussoukro, l’on aperçoit à plusieurs endroits des jeunes issus de campements et villages riverains s’obstiner à fermer quelques nids de poule avec de la terre rouge récupérée sur les accotements.
Tandis que certains de ces ouvriers bénévoles bouchent des tous, d’autres assurent la garde au niveau d’une barrière en bois qu’ils ont érigée, pour obliger les véhicules à ralentir à leur niveau, afin d’en profiter pour tendre la main aux automobilistes pour recevoir quelques piécettes.
De quoi renforcer le vœu essentiel des usagers et riverains de ce tronçon qui n’est autre que sa réhabilitation.
Plaidoyer en chœur pour la réhabilitation
De Ouikao (Diégonéfla) dans la région du Gôh, au carrefour de Gnamien Konankro (Kocumbo) région du Bélier, en passant par Oumé (région du Gôh), un seul plaidoyer est repris en chœur sur toutes les lèvres : la « réhabilitation rapide » de la nationale Gagnoa-Oumé-Yamoussoukro.
« Je souhaite ardemment que la route soit très vite réhabilitée, parce que se déplacer par ici est aussi compliquée », lance Adou Lawy, la commerçante « Carrefour de Tiégba », estimant que cela y va de la survie de nombreuses familles riveraines.
Certains suggèrent même que la route bénéficie d’un nouveau revêtement comme ce fût le cas au niveau de l’Autoroute du Nord, pour lui donner une longue durée de vie.
« Pour moi, ceux qui vont venir réhabiliter notre route, doivent enlever complètement l’ancien goudron pour mettre un nouveau bitume, parce que quand ils viennent et ils soudent les parties où le goudron n’existe plus, les nids de poule refont très vite surface à ces mêmes lieux, et ça ne dure pas », conseille pour sa part Coulibaly Anguissoro à de Ouikao.
« Il faut que le tonnage de ciment qu’il faut pour traiter les points critiques de cette voie soit effectivement utilisé à ça’’, propose pour sa part Sévérin Kouadio N’Guessan, agent de la Sodefor à Oumé.
Située en Afrique de l’Ouest dans le bassin du golfe de Guinée, la Côte d’Ivoire avec ses 322.462 km² de superficie, jouit d’un réseau routier de 81.996 km, dont 75.482 km de routes en terre, 6.282 km de routes bitumées, plus 232 km d’autoroutes, selon l’Agence de gestion des routes (AGEROUTE).
Mais les riverains et usagers de l’axe Gagnoa-Oumé-Yamoussoukro, se demandent encore si leurs 130 km méritent encore d’être pris en compte dans ces statistiques ; tant le grand espoir suscité en eux après la réhabilitation de cette voie en 2013 s’est très vite mué, à ce jour, en un véritable cauchemar.
AIP
Auteur: Armand Tanoh