L'Académie Diplomatique Africaine (ADA) relance la question de l'adhésion d'Haïti à l'Union africaine (UA). Pour Pr Benoît S. Ngom, président fondateur de l'ADA et de l'Association des Juristes Africains (AJA), ce pays, peuplé exclusivement d'afrodescendants, remplit les critères pour intégrer l'organisation continentale. Dans cet entretien accordé à La Diplomatique d'Abidjan (LDA, www.ladiplomatiquedabidjan.net ), il développe les arguments juridiques et historiques de cette demande et appelle l'Afrique à jouer pleinement son rôle dans la résolution de la crise haïtienne.
LDA : Quelle est la motivation principale de l'ADA dans cette démarche ?
Pr Benoît S. Ngom : L'ADA cherche essentiellement à réactualiser la requête de la République d'Haïti. En janvier 2014, lors du 22ᵉ sommet de l'UA, le Premier ministre haïtien de l'époque, Laurent Salvador Lamothe, avait rappelé que "Haïti, c'est l'Afrique dans la Caraïbe" et que ses compatriotes sont "des Africains dans leurs âmes, dans leurs cœurs et dans leurs mœurs". En 2015, Haïti a obtenu le statut de "membre associé à part entière" de l'UA, faisant croire à une intégration imminente. Cependant, l'article 29 de l'Acte constitutif de l'organisation stipule que seul un État africain peut en être membre. Nous soutenons que Haïti, en tant que première République noire, est l'incarnation même de la diaspora africaine et doit être reconnu comme tel par les États du continent.
LDA : Pourquoi l'Afrique semble-t-elle indifférente à cette cause ?
Pr Benoît S. Ngom : L'indifférence vient principalement du manque d'information. Haïti, pourtant symbole de résilience et de lutte contre l'oppression coloniale, reste peu connu du grand public africain. La décennie des Afrodescendants (2014-2024), proclamée par l'ONU, s'est achevée dans une quasi-indifférence.
Nous estimons que l'Afrique doit assumer sa responsabilité historique face à la crise haïtienne. Il est impératif que l'Union africaine convoque une conférence de toutes les parties concernées, de préférence dans un pays francophone, avec le soutien des USA et de la France. Une solution durable ne peut venir d'une intervention militaire ou policière étrangère.
LDA : Quels bénéfices Haïti tirerait-il d'une adhésion à l'UA ?
Pr Benoît S. Ngom : La question doit être posée aux Haïtiens eux-mêmes. Mais en tant qu'Africain, je pense que cela permettrait à l'Afrique d'affirmer sa solidarité avec la diaspora. L'UA a pris la courageuse décision de reconnaître la diaspora africaine comme sa 6ᵉ région. Accueillir Haïti dans l'organisation donnerait corps à cette vision.
LDA : Haïti partage-t-il des similitudes avec les États africains ?
Pr Benoît S. Ngom : Absolument. Les défis d'Haïti, notamment la gouvernance, la pauvreté et l'instabilité politique, sont similaires à ceux que certains États africains ont traversés. Pourtant, l'Afrique progresse grâce à l'Union africaine, la Banque africaine de développement (BAD) et bientôt la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF). Haïti pourrait bénéficier de cette dynamique.
LDA : Quel rôle joue l'UJPLA dans ce combat ?
Pr Benoît S. Ngom : Avec mon frère Yao Noël, président de l'Union des journalistes de la presse libre africaine (UJPLA), nous avons décidé de mutualiser nos forces. Un accord de coopération entre l'ADA et l'UJPLA vise à sensibiliser l'opinion africaine sur les enjeux internationaux ayant un impact sur le continent, dont la situation d'Haïti.
LDA : Que demandez-vous concrètement aux dirigeants africains ?
Pr Benoît S. Ngom : Nous les appelons à prendre leurs responsabilités en apportant une contribution réelle à la résolution de la crise haïtienne. Les pays francophones et l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF) doivent jouer un rôle clé. Nous restons sceptiques sur la mission confiée au Kenya, un pays anglophone dont la gestion des libertés démocratiques internes est contestée.
Notre démarche vise à mobiliser l'Afrique sur la pertinence de la requête d'Haïti. L'appel de l'ADA sera progressivement transmis aux organisations de la société civile et à l'Union africaine pour que cette cause soit enfin entendue.
Auteur: LDA Journaliste
