Amina Mohamed, ministre des Affaires étrangères du Kenya, est la candidate de son pays à l’élection à la présidence de la Commission de l’Union africaine. Quelques semaines après un séjour de cette diplomate chevronnée en Côte d’Ivoire, où elle a sollicité le soutien du président Alassane Ouattara à sa candidature, nous vous proposons cette interview qu’elle a accordée à notre confrère américain CNBC. Ses ambitions, visions et priorités pour l’intuition panafricaine y sont largement déclinés. Entretien.
CNBC : Vous êtes une des premières femmes en Afrique à avoir accompli autant et occupé d’aussi nombreux postes importants et vous êtes la première ministre des Affaires étrangères du Kenya, racontez-nous votre parcours.
Amina Mohamed : Ça a commencé lorsque j’ai été élue à la tête de l’Organisation Internationale pour les Migrations. Le Kenya était le seul pays membre d’Afrique. J’ai dit que j’acceptais cette position à la condition que l’organisation s’ouvre à d’autres pays du continent. Durant ma présidence, j’ai pu en faire venir un certain nombre et l’OIM est aujourd’hui largement composée de nations africaines. Lorsque vous êtes ambassadeur dans de nombreuses capitales, il est important de montrer votre engagement envers le continent en acceptant de présider différents organes. J’ai eu la chance d’être considérée par le groupe africain dans les villes où j’ai exercé mes différentes fonctions comme une candidate solide pour être élue de manière ininterrompue. J’ai beaucoup aimé exercer ces fonctions et je me suis engagée à être dans l’action.
Vous êtes aujourd’hui candidate à la présidence de la Commission de l’Union africaine, dites-nous pour quelles raisons ?
Je pense que je peux apporter beaucoup. L’agenda 2063 qui a été adopté par tous les pays africains a besoin d’un leader qui s’engage à mettre en œuvre ce qui a été décidé. C’est un agenda qui vise à une croissance inclusive et un développement durable et qui est porté par des ambitions extraordinaires pour le continent.
Il est temps de laisser la place à un pays d’Afrique de l’Est car notre communauté régionale a montré sa valeur et son dynamisme. J’ai la capacité de rassembler et je ne m’avoue jamais vaincue. Nous devons tourner notre continent vers l’avenir. Nous sommes dans une position de leadership, à nous de résoudre nos difficultés et nos problèmes et de saisir l’opportunité de propulser notre continent vers des sommets de réussite.
Dites-nous rapidement quelles seraient les priorités d’une CUA présidée par Madame l’Ambassadrice Amina Mohamed?
L’industrialisation peut réduire la pauvreté et créer des emplois pour accompagner notre continent dans le 22ème siècle. Le commerce est un paramètre d’unification très fort mais nous devons combler nos lacunes en matière d’infrastructures et faciliter la mobilité des gens, des capitaux et des biens afin que nos jeunes puissent bouger au-delà des frontières, échanger des idées, faire preuve de créativité et d’innovation, mais également trouver des emplois. Le commerce intra-africain est de 13%. C’est inacceptable. Nous devrions au moins atteindre 30% et à terme viser 60%.
Quelle est votre vision en matière de gouvernance et de transparence ?
L’agenda 2063 prévoit que nous soyons plus transparents et plus ouverts. La jeunesse est très demandeuse de cela et de plus en plus de monde est impliqué dans des rôles de leadership. Aujourd’hui, l’Afrique a fait des efforts considérables en termes de gouvernance et d’Etat de droit et nous devons continuer à nous améliorer. Au Kenya, nous avons adopté notre nouvelle constitution en 2010 et immédiatement après, lorsque j’étais Secrétaire d’Etat à la justice, nous avons reçu des dizaines de demandes d’information de la part d’autres pays. Ils voulaient nous rendre visite, étudier notre constitution et s’en inspirer pour l’adapter à leur contexte national. Au final, une constitution est un instrument dont les bénéfices se situent dans la mise en œuvre et l’on ne peut mettre en œuvre que ce qui est parfaitement adapté à chaque contexte particulier.
Les projections concernant la croissance (la plus faible depuis deux décennies) sont de 1,4%. Comment faire repartir la croissance?
L’industrialisation, la diversification, la valeur ajoutée et la valorisation. Nous devons cesser d’exporter des produits bruts et des emplois alors que nos propres jeunes sont au chômage. Nous devons établir des chaînes de valeur régionales. La diversification est cruciale pour réduire la dépendance aux prix élevés du pétrole et aux matières premières. Nous devons aussi supprimer les goulets d’étranglement tels que les visas.
Lorsqu’un pays est bien diversifié, il doit nous servir de modèle. Je suis convaincue qu’il est plus facile de mettre en œuvre quelque chose dont vous vous êtes inspiré chez votre voisin que chez quelqu’un qui vit très loin et dont le contexte et les capacités de mise en œuvre sont totalement différents.
Nous avons signé un accord tripartite entre la SADC, la COMESA et la CAE et alors que nous faisons des progrès dans sa concrétisation, même si j’aimerais que ceux-ci soient plus rapides, une confiance commence à s’établir, la conviction que quelque chose est en train de se passer. Nous avons également signé l’accord de zone de libre échange continental. Je pense que le continent commence à réaliser que le moyen le plus rapide de se développer est de le faire tous ensemble.
Nous sommes également impliqués dans les questions à l’échelle mondiale, telles que les ODD et le réchauffement climatique, car nous sommes très vulnérables aux changements climatiques.
Abordons maintenant la question de la population en Afrique. C’est celle qui augmente le plus rapidement dans le monde…
Nous devrions mieux nous préparer en termes d’éducation, de développement des compétences et des opportunités pour en faire un avantage. Nous devons accélérer le rythme pour non seulement créer des emplois mais également des opportunités pour que les jeunes puissent entreprendre et devenir eux-mêmes des créateurs d’emplois.
Nous sommes en train de transformer les zones rurales en espaces habitables et durables afin qu’il ne soit pas nécessaire de déménager dans la capitale pour trouver des emplois et des services. Vous venez à Nairobi parce que vous voulez vendre vos marchandises et non pas parce que vous pensez que c’est le seul endroit où décrocher un emploi. Nous devons faire de l’urbanisation intelligente sur tout le continent.
Les infrastructures sont essentielles. La CUA a la capacité de réunir les gouvernements et les entreprises pour que les négociations aient lieu de manière collective. Cela coûtera moins cher et nous devons maintenir les mêmes standards pour nos routes, nos chemins de fer, nos aéroports et nos ports.
