Edito : Sous le masque des négociateurs africains

Victimes d’influence, de corruption, de désinformation ou d’incompétence, les représentants africains ne sont pas toujours entraînés à la « brutalité » des négociations diplomatiques ou commerciales.

Le sujet est sensible. Au nom du devoir de réserve, les diplomates ne s’autorisent à aborder la question qu’enoff. Et les médias manquent de culot pour enquêter sur les dérives de l’ONU en dehors du champ des opérations humanitaires. D’après le décompte effectué par les analystes deKnowdys, 3/5 des représentants des pays africains au siège des Nations Unies, à New-York, sont des amis ou des parents de chefs d’États et de gouvernements en place. Les organes spécialisés des Nations Unies n’y échappent pas. Fort heureusement, cette tendance ne concerne pas les brillants professionnels africains qui intègrent le système par voie de recrutement.

Quoique certains parmi eux soient des diplomates chevronnés et des négociateurs de haut niveau, plus de 60% des représentants africains au siège des Nations Unies sont perçus par leurs collègues nord-américains, européens et asiatiques comme étant « les moins compétents », « les plus lents », « les plus influençables » et « les plus corruptibles ». Un avis que ne partagent bien sûr pas les concernés, même si la majorité reconnaît sincèrement avoir besoin de renforcer leurs capacités en techniques deprofilinget de négociation.

D’après nos observations, les représentants africains ne sont pas fondamentalement les moins compétents des pays en développement. Ils sont juste mal préparés. En Afrique, très peu d’écoles de commerce et d’instituts de relations internationales enseignent les techniques de négociation. Un exemple : il est bien connu des négociateurs que les Européens (de l’ouest et du sud notamment) posent beaucoup de questions. Or les Africains montent rarement au filet, développant un jeu de fond de cour dans lequel ils prennent le risque d’être surpris. Dans un tel schéma, comment participer à un échange sans révéler une information-clé ? On comprend dès lors la nécessité de renforcer les capacités de négociation des représentants africains.

Les négociateurs africains sont-ils plus influençables que leurs homologues d’autres continents? Les recherches du professeur MBENGUE autorisent à répondre par l’affirmative. Curieusement, les délégations africaines sont plus enclines à nouer des alliances stratégiques avec des étrangers qu’avec d’autres Africains, comme on l’observe de temps en temps à l’OMC et au FMI. Les investigations de Knowdys montrent aussi que les négociateurs africains deviennent redoutables lorsqu’ils découvrent les failles du concurrent. D’où le besoin de renforcer leurs capacités en matière de collecte, d’analyse et de protection des informations-clés.

Concernant la corruption, nos investigations confirment la perception qu’ont les observateurs des négociateurs africains. Fin 2011, les analystes deKnowdysont identifié cinq techniques de corruption – décrites lors de nos différentes interventions – parmi celles qui rencontrent le plus de succès auprès des représentants africains. Il s’agit de « pourboires », de « cadeaux », de « pourcentages », des « aides » et du « consulting ». À ce jour, la technique la moins traçable de toutes reste, à nos yeux, celle du consultingoffshore.Comment ça marche ?

Le proche collaborateur d’un diplomate ou d’un ministre responsable d’un marché important est recruté comme consultant dans un cabinet basé dans un paradis fiscal, souvent le Luxembourg, Chypre, Malte, Hong Kong ou Singapour. En échange d’informations confidentielles, il est rémunéré dans une banque située, elle aussi, dans un paradis fiscal. Au cours d’un voyage à l’étranger, le collaborateur peut investir une partie des fonds hors des frontières nationales ou ramener une partie dans son pays. Les enquêteurs locaux ne peuvent qu’observer la poussée de somptueuses villas à Yaoundé, Lagos ou Luanda, sans jamais pouvoir tracer l’origine des fonds. C’est l’une des raisons pour lesquelles certains magistrats africains peinent à prouver la culpabilité des décideurs pourtant soupçonnées de corruption.

Revenons aux Nations Unies. Environ 40% des représentants africains francophones qui arrivent au siège de l’ONU ignorent que leurs collègues des grandes puissances tiennent une fiche de leurs identité, situation familiale, parcours académique et professionnel, ainsi qu’une cartographie de leurs réseaux. Cette fiche a vocation à être encore plus détaillée et régulièrement actualisée si la cible siège comme membre non permanent au Conseil de Sécurité. L’objectif de ces fiches ? Identifier et mettre à jour les forces et faiblesses exploitables en cas de négociation. En langage diplomatique, « ils se tiennent au courant. »

Dans la sphère commerciale, mentir sur ses bénéfices, cacher des données économiques ou stratégiques durant une négociation ou recruter les salariés du concurrent à condition qu’ils ramènent des informations à haute valeur ajoutée, sont des pratiques plus courantes que ne l’imaginent la majorité des opérateurs économiques africains sondés. Sur une vingtaine de cas analysés parKnowdys, les représentants africains sont généralement considérés par leurs homologues comme des « instruments », voire des « marchandises » à qui l’on peut aisément proposer des avantages personnels contre des renseignements économiques, voire stratégiques.

Étant eux-mêmes victimes de l’imprécision des statistiques comme le souligne le professeur Mbengue, les négociateurs africains sont plus souvent victimes que bourreaux. Parmi leurs adversaires les plus redoutables, les négociateurs anglo-saxons apparaissent comme les champions de la dénaturation stratégique des faits (strategic misrepresentation). En fonction des intérêts, certains sont capables de diffuser intentionnellement de fausses informations comme les analystes l’ont noté dès septembre 2002 pour justifier l’invasion militaire de l’Irak. Signalons cependant que la majorité des businessmen nord-américains valorisent l’information dite représentative pour développer la confiance avec leurs partenaires d’affaires africains.

Autres négociateurs redoutables : les Français. Face aux Africains, ils fonctionnent davantage en « mode pression », quelquefois en inventant des arguments d’ordre technique ou politique. En Afrique centrale en particulier, cette technique est souvent mobilisée par les négociateurs français de contrats d’armement à l’approche des échéances électorales : « …signez maintenant, demain ce sera trop tard », entend-on souvent. Pour ces négociateurs souvent armés de caisses noires, « un contrat signé est un accord qui lie la partie la plus faible. »

Il y a enfin les négociateurs chinois, les rois de la dissimulation des informations-clés. Pour vendre moins cher et le plus longtemps possible, les négociateurs chinois ne révèlent jamais les derniers développements d’un produit qu’ils sont en train de fournir aux Africains. D’où les technologieslow costmais obsolètes que l’on dénombre dans certains contrats sino-africains ; contrats souvent remportés grâce aux techniques duguanxi,une approche chinoise du réseau fondée sur l’entretien de relations étroites avec les entités et les acteurs-clés.

Cette semaine, sur Africa Diligence, le professeur Ababacar MBENGUE décrypte d’autres enjeux de la négociation en Afrique et propose des solutions aux problèmes identifiés.

Guy Gweth

 

De notre partenaire : http://www.africadiligence.com

Auteur:
Armand Tanoh

LDA Newsletter

Ne ratez rien de l'actualité en continue, soyez aux premières loges des dernières news sur LADIPLOMATIQUE D'ABIDJAN