Avec l’annonce de la hausse du coût de l’électricité en Côte d’Ivoire, ce secteur va-t-il enfin cessé d’être pointé par Fonds monétaire international (FMI), comme "un goulot d’étranglement pour la croissance économique" du pays ? A condition que le gouvernement ivoirien ne fasse pas volte-face face à la grogne qui monte de plus en plus au sein de la population suite à cette mesure.
Sortir d’une situation critique
En effet, suite à sa première mission à Abidjan, en mai 2012, après la grave crise postélectorale ivoirienne, une délégation du FMI conduite par son Sous-directeur du département Afrique, Michel Lazare, l’institution financière avait dépeint, dans son rapport, un tableau particulièrement alarmant de la situation du secteur de l’électricité en Côte d’Ivoire. La mission évoquait alors un équilibre précaire entre la production et la consommation, estimant que "la production est tout juste suffisante pour couvrir les pics de la demande intérieure". Ce qui rend le secteur "vulnérable aux chocs, qui sont intervenus fréquemment". Le déficit financier du secteur qui s'est creusé avec le temps, est dans une large mesure couvert par l'Etat pour des raisons sociales, mais il pèse lourdement sur les finances publiques, indique le rapport, qui relève que "le gouvernement a encore beaucoup à faire pour rétablir la viabilité financière du secteur à moyen terme". Face à cette situation, le FMI avait exhorté le gouvernement à prendre "de nouvelles mesures pour assurer la viabilité financière du secteur de l’électricité, notamment des hausses de tarifs pour couvrir une plus grande proportion des coûts de production". Une suggestion apparaissant comme une pilule trop amère à faire avaler aux populations qui, selon les autorités ivoiriennes, ont déjà assez souffert de la crise pour encore subir une augmentation du coût de l’électricité.
Qu’à cela ne tienne ! Le gouvernement ivoirien, sous la houlette du Président Alassane Ouattara, s’engage dans des réformes structurelles dans le secteur, et prend des mesures visant à minimiser au mieux les pertes techniques, réduire les charges des opérateurs du secteur, augmenter les recettes et améliorer le rendement, à travers des travaux de renforcement du réseau électrique. Des investissant dans les infrastructures de production et de transport de l’énergie, qui ont été possible grâce au soutien de divers bailleurs de fonds dont l’Agence française de développement (AFD) et la Chine.
D’importants investissements réalisés et en cours
Réalisation de travaux d’extension de la centrale thermique d’Azito à Yopougon (Abidjan), à près de 200 milliards de francs CFA, la construction du barrage de Soubré d’une capacité de 275 mégawatts d’un coût de quelque 286 milliards FCFA, ainsi que trois complexes hydroélectriques à Gao (Man), Koulikoro (Man) et Tayaboui (Taï), d’une puissance potentielle globale de plus de 210 MW et d’une valeur de 450 milliards de francs CFA. Considérant le secteur de l’énergie comme un secteur stratégique pour l’atteinte de ses objectifs de développement économique et de bien-être social, l’Etat ivoirien entend ainsi faire passer sa capacité de production d’électricité de 1600 mégawatts en 2014, à 2000 mégawatts en 2015 et 4000 mégawatts en 2020.
A côté de ces réalisations, l’on assiste à une électrification tous azimuts de localités de l’intérieur du pays à travers le Programme national d'électrification rurale (PRONER) et le Programme électricité pour tous (PEPT), qui ont déjà permis de connecter plus de 200 villages à travers le pays. La Côte d’Ivoire est passée d’un taux de couverture électrique de 33% en 2011 à 43,03 % en 2014, avec un taux d’accès des populations de 78% en 2014.
Dans la région du Bounkani (Nord-est), par exemple, le taux de couverture est passé de 1% en 2011 à 34% en 2014, quand dans le Kabadougou (Nord-ouest), ce taux est passé de 22% en 2011 à 78% en 2015. Tandis que dans le Folon, on est passé de 13% en 2011 à 59% en 2015.
Le gouvernement, selon son porte-parole Bruno Nabagné Koné, veut aboutir à un rythme minimum de 500 villages par an, pour un taux de couverture national de 53,6% en 2015, qui devra atteindre les 95% en 2020. Déjà, "l'Etat envisage d’électrifier dès 2016, tous les villages de plus de 800 habitants ; c’est-à-dire 2112 villages et 100% de villages de plus de 500 habitants en 2020", affirme M. Nabagné Koné.
Le réaliste sacrifice
En dépit de ces progrès considérables et ambitieuses perspectives, le secteur de l’électricité qui affiche désormais un solde d’exploitation positif, continue pourtant de souffrir d’un équilibre financier fragile, faisant peser des risques de pénurie en matière d’énergie électrique. Et le FMI qui n’a pas baissé la garde, revient régulièrement à la charge, appelant son ex-directeur général adjoint Alassane Ouattara de revoir à la hausse du prix de l’électricité, sinon, "l’investissement si nécessaire dans de nouvelles capacités de production restera un vœu pieux". Une autre manière de dire que pour le FMI, la Côte d’Ivoire aura du mal à amortir l’argent investi dans les infrastructures énergétiques si le prix de l’électricité n’augmente pas.
Lors de la dernière mission de Michel Lazare et son équipe à Abidjan, en avril 2015, ce dernier a à nouveau appelé au "(renforcement de) la situation financière du secteur de l’énergie qui a été aggravée par la chute rapide des cours mondiaux du pétrole et l’appréciation du dollar en 2014". Ce qui signifie, en langage moins diplomatique, qu’il faut incessamment passer à l’embarrassante étape de l’augmentation du prix de l’électricité pour mettre en adéquation d’une part les ambitions du gouvernement et les ressources disponible, et d’autre part la demande sans cesse croissante en énergie et la capacité de recouvrer les prêts acquis auprès des partenaires pour l’investissement dans les infrastructures énergétiques, tout en tenant compte de l’évolution globale du secteur.
La suite, on la connait. Le 20 mai 2015, en Conseil des ministres, le gouvernement prend donc cette mesure, qui demande aux Ivoiriens un réaliste sacrifice, au vu des ambitions et des perspectives de développement du pays. "Cette mesure va permettre d'augmenter l'offre, et si l'offre augmente plus que la demande, les prix vont nécessairement baisser", explique le Président Ouattara.
Les plus vulnérables à l’abri
La mesure est censée entrer en vigueur dès le 1er juin 2015, mais ne pas concernera pas les couches les plus vulnérables, c’est-à-dire les abonnés aux tarifs sociaux, qui représentent selon le gouvernement 40% de l’ensemble des abonnés au service d’électricité. Pour le chef de l’Etat, il s’agit de faire en sorte les ménages à faibles revenus ne subissent pas la nouvelle tarification. Pour l’heure, on se demande bien quels sont ceux qui appartiennent à cette catégorie de chanceux.
Abdoul Razak Dembélé
Auteur: Armand Tanoh