Côte d’Ivoire : Ces des femmes qui brisent des pierres pour survivre (Reportage)

Au niveau des nombreuses opportunités de travail que présente la ville de Man, un groupe de femme a décidé de se livrer au concassage de pierres qui jonchent la voie menant à Biankouma pour assurer le quotidien de leurs familles respectives. Entre pauvreté et besoins familiaux, elles s’arment de courage et d’abnégation pour donner un sens à leur vie. Une incursion dans leur quotidien met en lumière la pénibilité de ce métier et les conditions dangereuses dans lesquelles ces femmes travaillent.

Située dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, Man est une coquette ville où il fait bon vivre. Chef-lieu de la région du Tonkpi, elle s’étend sur une superficie de 4140,7 km2 avec une population estimée à 241 969 habitants, selon le dernier Recensement général de la population et de l’habitat (RGPH 2021). La ville bénéficie d’une générosité de la nature qui fait d’elle, une destination particulière avec ces nombreuses potentialités touristiques et économiques. Malheureusement comme partout ailleurs en Côte d’Ivoire, cette commune a ses défavorisés de la société. Des femmes réduites à concasser des pierres pour s’assumer et prendre soins de leurs familles.

Chaque jour, par petits groupes et souvent en famille, des femmes concasseuses de cailloux investissent, dès les premières heures de la matinée, différents sites rocailleux disséminés dans la cité. Elles commencent le travail à 8 h pour terminer à 16 h, voire à 17 h pour d’autres.

Assises à même le sol, sous des hangars de fortunes ou sous des arbustes, foulards noués autour de la tête, vêtues d’un pantalon et de chaussettes pour certaines, elles concassent les pierres depuis plusieurs années.

Du quartier Grand-Gbapleu à Air France, ainsi qu’en bordure de la voie menant à la ville de Biankouma, à la sortie nord de Man, toutes ces braves femmes approchées n’ont qu’un seul refrain, la recherche du pain quotidien pour pouvoir nourrir la famille et assurer l’école de leurs progénitures.

A Air France, dans les encablures de chics bâtisses qui laissent entrevoir une vie de luxe pour les occupants, juste à côté, c’est le contraste. Des femmes et leurs enfants aidés parfois de quelques hommes, souffrent le martyr.

Retranchée sous des arbustes jonchés de roches pour concasser les pierres et en faire du gravier, dame Blon Thérèse, veuve et mère de famille, passe des journées harassantes sous le soleil, à répéter les mêmes gestes et au même endroit pour survivre comme toutes ses femmes autour d’elle.

Dame Blon Thérèse (au premier plan) et ses consœurs cassent les cailloux depuis plus de dix ans

A l’ombre des arbustes, elle tient un marteau de fabrication artisanale à main. Derrière un monticule de pierres, le visage bien marqué de rides, apparence d’une peau enfoncée et vieillissante, la quinquagénaire affiche plutôt fière allure comme en témoigne son attitude accueillante mise en relief.

« Je me débrouille ici et c’est grâce à cette activité que les enfants vont à l’école. Ce travail n’est pas pour les femmes, mais on ne sait même pas ce qu’on va faire, c’est pour cela on est venu casser les cailloux », a expliqué dame Blon.

Vu son frêle corps sur lequel dégouline un flot de sueur, tout porte à croire que la quinquagénaire vieillit chaque jour par l’endurance qu’exige ce travail.

A la sortie de la ville de Man en partance pour Biankouma, la forte colonie de ces femmes concasseuses de pierres est frappante. De part et d’autre de cette route internationale, le décor est assiégé de tas de gravier disposés çà et là.

« Chacun prend place sur le site et l’exploite selon ses forces, les propriétaires des lots nous permettent d’occuper l’espace pour juste éliminer les pierres sur leurs terrains afin qu’ils puissent construire sans difficultés », a fait savoir mademoiselle Mariam Doumbia, s’affairant tout autour de plusieurs monticules de graviers. Elle dit prêter main forte à sa génitrice pour subvenir aux besoins de la famille. Elle a dû abandonner son étalage pour embrasser le métier parce que son commerce bat de l’aile avec les incessants crédits. « Mon papa est malade, regarde ma maman là-bas, elle est fatiguée et il n’y a pas les sous », a-t-elle laissé entendre, la gorge nouée.

Pour cette autre dame de nationalité guinéenne, âgée d’environ 30 ans et qui a préféré taire son nom, se retrouver dans cette carrière est intimement lié à la défection de son conjoint. « Tu ne peux pas t’asseoir là comme ça et ne rien faire, sinon comment faire manger les enfants ? Je suis mariée, mon mari n’est pas là. Cela fait trois ans qu’il est en voyage, j’ai quatre enfants à ma charge, donc je suis venu me débrouiller ici », a-t-elle laissé entendre. Un peu plus loin, des enfants s’affairent à transporter quelques pierres de cailloux. D’autres s’adonnent au caillassage.

En effet, les enfants viennent en aide aux parents pour l’intérêt familial. Ces familles ont compris qu’il leur faut faire preuve de courage et d’abnégation pour donner un sens à leur existence.

Dans nos sociétés présentes où la solidarité a presque foutu le camp pour laisser peu à peu place au développement de l’individualisme, il reste à ces dames et leurs enfants concasseurs de cailloux, le courage pour survivre, de cette activité singulière devenue plus que vitale mais très avare.

L’activité est une affaire de famille

Un travail difficile pour un revenu insignifiant

Alors que ce travail demande beaucoup d’efforts, les revenus qui en sont issus, eux, sont assez minimes. Mais pour ces femmes qui vivent dans une grande précarité, le caillassage de ces pierres est leur unique source de revenus pour subvenir aux besoins de leurs familles. « Par jour, si tu as la force, tu peux faire une brouette et demie ou deux brouettes. Et puis, une brouette on la vend à 1000 f, de fois 1250 f », a précisé dame Blon Thérèse.

Mais malgré les efforts, empocher quelques piécettes de cette activité devient un parcours du combattant. « Ça ne marche même pas, il y a des fois on peut faire trois ou quatre mois sans achat d’un tas de gravier », explique dame Blon. Une situation difficile qui pousse les femmes à se tourner vers les boutiquiers du quartier pour solliciter des prêts et nourrir leurs progénitures.

Si pour Mlle Mariam, la vente se fait en priorité par chargement à hauteur de 200 000 f la benne, elle soutient également que les clients se font rares et “l’attente est longue et pénible”.

A quelques mètres de là, Koné Fatoumata, une trentaine d’années, ménagère et mère de trois  enfants, est vêtue d’une longue robe fleurie sur laquelle surmonte un tee-shirt manche longue rouge. Ces mains sont recouvertes de gants et des chaussettes aux pieds, sans nul doute pour se protéger contre les débris de cailloux.

Celle-ci explique que le prix du tas de gravier est fonction de la taille mais aussi de la qualité. « Ce tas de gravier rouge, je le fais à 3000 f et celui en blanc à 4500f », révèle-t-elle.

Tout comme les autres femmes préoccupées sous ce soleil ardent, une jeune dame commerçante de gravier, lance depuis sa position, comme pour marquer sa présence.  « Monsieur, les acheteurs de gravier, ça ne court pas le long de la rue. On peut passer deux à trois mois avant de gagner un chargement, vous comprenez, l’argent est insignifiant mais aussi on n’a personne pour acheter », a-t-elle souligné.

Un tour fait auprès d’un bon nombre de ces dames assises le long de la route où, bruits des marteaux se mêlent au vacarme des véhicules, le refrain est le même, « ça ne marche pas ».

Et pourtant l’activité est une menace pour leur santé

Du quartier Grand-Gbapleu à Air France jusqu’à la grande carrière de concassage de cailloux située sur la route de Biankouma, toutes les femmes exploitantes de pierre admettent souffrir de certains malaises dont les plus évoqués sont la courbature, les maux de tête, les blessures soit au pied, soit au niveau des doigts et même des yeux.

« Le travail nous fatigue assez, on ressent des maux de tête, mal de hanche, mal aux jambes, et puis on ne dispose pas de moyens pour s’acheter des médicaments », fait savoir Mme Blon, soutenue par ses consœurs sur leur site de travail au quartier Air France.

Si elles arrivent à prendre des médicaments, ce ne sont autres que ceux vendus hors des officines, indiquent-elles.

« Souvent tu peux rester là taper cailloux jusqu’à voir le sang sortir par tes narines et quand tu n’es pas protégée aussi, les débris de cailloux peuvent te déchirer », renchérit dame Koné Fatoumata.

Le métier est risqué et ces dames en ont pleinement conscience. A la moindre erreur, on a les doigts ou les mains endommagés. Quelques fois surgissent les problèmes respiratoires.

Elles espèrent du soutien qui ne vient jamais

Elles se plaignent ne pas bénéficier de soutien, ni de la part des autorités, ni de tierces personnes. “Nous sommes livrées à nous-mêmes depuis que nous sommes ici”, insiste Mme Blon. « Même quand on apprend qu’il y a une opération d’aide financière pour les femmes, on s’y déporte, on fait tous les dossiers, on dépose, mais jamais on a bénéficié de quelques choses. Alors que pour les autres ça marche mais pour nous autres jamais », a ajouté la quinquagénaire. ”J’espère qu’un jour Dieu nous viendra en aide pour sortir de cette misère”, a répliqué une autre.

Le directeur régional de l’environnement du Tonkpi, interpelle sur les conséquences de l’activité au niveau le cadre de vie

 Entre temps, l’activité fait peser de graves menaces sur l’environnement

Selon le directeur régional de l’environnement et du développement durable du Tonkpi, Klé Blé Sébastien, l’activité de concassage des pierres a des impacts négatifs. « D’abord il y a dégradation du cadre de vie parce que ces femmes utilisent les pneus usés, les sachets plastiques pour brûler les pierres afin de les fissurer et pouvoir les casser. Et donc c’est une activité qui a des impacts au niveau de la pollution de l’air. Le second impact est que lorsque la roche est concassée et enlevée, elle laisse un trou. Ce trou peut recueillir de l’eau de pluie et constitué un nid d’implantations de moustiques, favorable au paludisme », a justifié M. Klé.

Il a précisé qu’avec l’action continue de ces femmes, il peut y avoir risque d’éboulement parce que les flancs des montagnes peuvent couler.

Pour lui, certes les femmes mènent cette activité pour subvenir à leurs besoins, mais faudra-t-il encore qu’elles tiennent compte de leur propre santé, en songeant se vêtir d’équipement de protection individuelle.

Par ailleurs, le directeur régional de l’environnement et du développement durable interpelle sur l’encadrement des femmes concasseuses de pierres au niveau de la ville de Man pour ne pas qu’elles détruisent l’environnement. « Il faudrait qu’elles se retrouvent dans une structure formelle respectueuse du cadre de l’environnement, de l’hygiène de la santé », a-t-il insisté.

Le phénomène du concassage des pierres est beaucoup développé à Man. L’activité gagne de plus en plus des familles qui y trouvent une solution pour faire face à la disette. Tout le monde le voit, tout le monde le sait, mais personne n’ose en parler et apporter des solutions. Aujourd’hui avec la dégradation des flancs des montagnes, des risques planent sur la ville.

(AIP)

Auteur:
LDA Journaliste

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