Abidjan, le vendredi 9 mai 2025(LDA)-La santé mentale ne peut plus être le parent pauvre de notre politique de santé. Elle est au croisement de tous les enjeux contemporains : inégalités sociales, santé publique, sécurité, éducation, justice.
Il y a des priorités qu’on proclame, et d’autres qu’on traite réellement. La santé mentale au Maroc, depuis trop longtemps, reste prisonnière de la première catégorie: affichée dans les programmes officiels, régulièrement invoquée dans les discours institutionnels, mais rarement accompagnée des moyens nécessaires à sa réforme effective.
La réalité, elle, est bien plus austère. En 2025, le Royaume ne compte que 319 psychiatres dans le secteur public et 274 dans le privé. Les pédopsychiatres sont encore plus rares, avec 62 postes dans le public contre 14 dans le privé. À cette pénurie dramatique s’ajoutent 1.700 infirmiers spécialisés en psychiatrie, principalement affectés au secteur public, ainsi que 11 hôpitaux psychiatriques pour un total de 1.508 lits à l’échelle nationale. Ces chiffres, d’une rigueur implacable, traduisent un sous-investissement structurel, aux conséquences humaines et sociales majeures.
Plus encore que les moyens, c’est l’absence de vision globale et de continuité des politiques publiques qui plombe la dynamique du secteur. Les institutions de postcure n’existent pas. Les patients stabilisés, une fois sortis de l’hôpital, se retrouvent sans suivi, sans structure intermédiaire, sans filet. La charge du soin retombe sur les familles, seules face à des pathologies lourdes. Et lorsque l’on parle de réinsertion ou d’accompagnement psychosocial, c’est trop souvent le néant.
Il y a des priorités qu’on proclame, et d’autres qu’on traite réellement. La santé mentale au Maroc, depuis trop longtemps, reste prisonnière de la première catégorie: affichée dans les programmes officiels, régulièrement invoquée dans les discours institutionnels, mais rarement accompagnée des moyens nécessaires à sa réforme effective.
La réalité, elle, est bien plus austère. En 2025, le Royaume ne compte que 319 psychiatres dans le secteur public et 274 dans le privé. Les pédopsychiatres sont encore plus rares, avec 62 postes dans le public contre 14 dans le privé. À cette pénurie dramatique s’ajoutent 1.700 infirmiers spécialisés en psychiatrie, principalement affectés au secteur public, ainsi que 11 hôpitaux psychiatriques pour un total de 1.508 lits à l’échelle nationale. Ces chiffres, d’une rigueur implacable, traduisent un sous-investissement structurel, aux conséquences humaines et sociales majeures.
Plus encore que les moyens, c’est l’absence de vision globale et de continuité des politiques publiques qui plombe la dynamique du secteur. Les institutions de postcure n’existent pas. Les patients stabilisés, une fois sortis de l’hôpital, se retrouvent sans suivi, sans structure intermédiaire, sans filet. La charge du soin retombe sur les familles, seules face à des pathologies lourdes. Et lorsque l’on parle de réinsertion ou d’accompagnement psychosocial, c’est trop souvent le néant.
Dans le domaine de l’addictologie, les dysfonctionnements sont encore plus flagrants. De nombreux centres sont ouverts sans stratégie de long terme, avec du personnel peu ou pas formé à la prise en charge des troubles addictifs. Lors de ma mission en tant que chargée auprès du ministère, j’ai coordonné des formations pratiques dans plusieurs régions : l’Oriental, Tanger-Tétouan-Al Hoceima, Fès-Meknès et Casablanca. Des efforts ont été déployés, des équipes formées, des protocoles partagés. Pourtant, aucune pérennité n’a été assurée. Les recommandations formulées, notamment dans un rapport soumis deux ans à l’avance, alertaient sur le risque de disparition de la méthadone, sur son mésusage croissant, et sur la nécessité d’un encadrement rigoureux. Ces avertissements sont restés sans suite concrète.
Le paradoxe est d’autant plus choquant que le Maroc dispose d’un enseignement psychiatrique universitaire de haute qualité, notamment dans les CHU de Rabat et Casablanca. La formation des psychiatres y est excellente, rigoureuse, conforme aux standards internationaux. Mais le nombre de diplômés ne suffit pas à couvrir les besoins du pays. Et aucune réforme sérieuse n’a été lancée pour structurer la formation continue des paramédicaux ou pour intégrer des psychologues cliniciens dans les établissements publics, alors que leur rôle est central dans la prise en charge globale.
Durant mes 14 mois de mission, j’ai vu, documenté, et transmis plusieurs propositions concrètes visant à renforcer les ressources humaines, améliorer la formation, structurer les parcours de soins. Ces propositions sont restées lettre morte. Or, sans stratégie nationale, sans plan structurant, il n’y a pas de réforme possible.
Enfin, l’accès aux traitements innovants souffre lui aussi de blocages absurdes. Le Maroc a pourtant été précurseur dans l’introduction de molécules cruciales comme la palipéridone injectable, utilisée dans le traitement de la schizophrénie. Cette forme retard offre une observance optimale avec des injections mensuelles ou trimestrielles, réduisant fortement les rechutes et les risques de passages à l’acte. Mais, malgré sa disponibilité sur le territoire, elle n’est toujours pas remboursée par les régimes d’assurance maladie. Et ce, malgré les dossiers multiples déposés pour en reconnaître l’importance thérapeutique. C’est une incohérence majeure, car l’absence de remboursement rend ces traitements inaccessibles aux patients les plus vulnérables, avec des conséquences graves tant sur le plan sanitaire que sécuritaire.
La santé mentale ne peut plus être le parent pauvre de notre politique de santé. Elle est au croisement de tous les enjeux contemporains : inégalités sociales, santé publique, sécurité, éducation, justice.
Faire l’impasse sur cette réforme, c’est condamner des milliers de patients et leurs familles à l’exclusion et à la souffrance silencieuse.
Le Maroc a les compétences, les ressources humaines de qualité, et même des molécules à la pointe. Ce qu’il lui manque, c’est une volonté politique durable, une gouvernance cohérente, et une approche pragmatique centrée sur le patient. Il ne s’agit pas de tout réinventer. Il s’agit de mettre en œuvre ce qui est déjà possible, de structurer ce qui a été amorcé, et de rendre justice aux professionnels et aux patients qui portent ce combat chaque jour.
La réforme de la santé mentale au Maroc ne doit plus être un slogan. Elle doit devenir un acte de responsabilité nationale.
Auteur: Dr Imane Kendili, Psychiatre et auteure