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Dossier-Sécheresse : Entre inflation et catastrophes, la Côte d’Ivoire durement frappée par El Niño

Feux de brousse, vie chère, manque d’eau, crises sociales, la Côte d’Ivoire, au rythme des catastrophes et inflation, est  durement frappée par une sécheresse due au phénomène El Niño, qui sévit dans le pays depuis fin décembre 2015.

El Niño 

Cette sécheresse, constatée dans diverses régions du pays, notamment au Nord, Nord-est, Nord-ouest et  Centre, se manifeste depuis lors par des effets désastreux sur l’agriculture, l’élevage, la foresterie, malgré des campagnes de sensibilisation et les actions d’anticipation entreprises ça et là pour amenuiser son impact.

Approchée par l’AIP, la Société d'exploitation et de développement aéroportuaire, aéronautique et météorologique (SODEXAM), indique que ce manque de pluie est dû au phénomène « El nino » qui, depuis 2015, a persisté et tendait à se renforcer jusqu'en décembre 2015.

El Niño, ou littéralement "l’Enfant Jésus’’ - car apparaissant peu après la fête de Noël, désigne, à l'origine, un courant côtier saisonnier chaud au large du  Pérou et de l'Equateur, mettant fin à la saison de pêche.

Le terme désigne maintenant, par extension, le phénomène  climatique particulier différent du climat usuel, qui se caractérise par des températures anormalement élevées de l'eau dans la partie Est de l'océan pacifique sud.

C’est un phénomène qui bouleverse le climat du monde entier. Il affecte le régime des vents, la température de la mer et les pluies. Dans l’océan pacifique, autour de l’équateur, les alizés soufflent d’est d’Amérique à l’Ouest d’Australie et d’Asie.

El Niño fait partie des anomalies dans la circulation atmosphérique qui peuvent dérouter les cyclones tropicaux de leurs routes habituelles, déplacer les zones de précipitations et de sécheresse.

Trois à quatre mois

En Côte d’Ivoire, la SODEXAM estime que cette situation de sécheresse devrait durer trois à quatre mois (à compter de décembre 2015) selon les localités.

Les régions situées sur la côtière ont connu des périodes moins longues suite à la remontée de vents humides sur le continent, qui sont allés progressivement jusqu’à atteindre les régions du Nord du pays.

Pour les populations de Nassian (Nord-est), par exemple, leur région subit en ce moment l’une de ses sécheresses ‘’des plus longues et destructrices’’ jamais vécues.

Débutée au mois de novembre, elle a atteint son paroxysme vers fin janvier, là où, habituellement, les premières pluies s’annonçaient et permettaient aux paysans de préparer les parcelles pour la culture de l’igname.

Faute de pluie, la saison sèche prolongée retarde les périodes de préparation de terrain pour la culture de ce tubercule et de l’arachide, principales cultures vivrières du département de Nassian.

Ainsi, l’on y assiste, depuis ces dernières semaines, à divers dégâts qui pourraient constituer une menace sérieuse contre la biodiversité. Il s’agit notamment de l'extinction de certaines espèces végétales (arbres et plantes), et la mort de diverses espèces animales vivant en forêt, la dureté des sols les rendant stériles, le bouleversement dans la saison, la pollution de l'air.

Au-delà de la perte de la biodiversité, il en résulte des risques d’impacts indirects : assèchement des cours d’eau en saison sèche, appauvrissement des sols, accélération du processus de déforestation), augmentation de l’érosion des sols, phénomènes d’hyper sédimentation. Les conséquences les plus ressenties par la population sont celles qui concernent l’agriculture, l’élevage et les ressources forestières.

Secteur agricole, le plus touché

L’économie de la Côte d’Ivoire repose essentiellement sur l’agriculture qui est de type pluviale, d’où sa vulnérabilité face à la sécheresse. L’impact agricole de cette sécheresse se traduit par l’appauvrissement des terres, la modification de l’écosystème et la disparition de l’humus.

« Les feuilles sèchent et les pieds de cacaoyers vont mourir s’il ne pleut pas d’ici peu », s’alarme, Kouakou Francis, planteur de cacao à Lakota (Sud Ouest), qui faisait visiter sa parcelle à l’AIP, quand son voisin souligne que depuis le mois de décembre,  il ne pleut pas et la chaleur est très forte.

Chez les producteurs de cultures de rentes, cacao, café, anacarde, l’inquiétude monte surtout au sujet de la production, quand ceux des cultures vivrières disent ne plus savoir à quel saint se vouer. D’où une flambée des prix des produits alimentaires sur les marchés.

Vie chère et menace sur la sécurité alimentaire

A Niambré, département de Lakota, les producteurs de vivriers se plaignent également. Zriga Collette indique que les vents violents qui ont accompagné l’harmattan ces derniers jours ont renversé plusieurs bananiers. « Il est aussi difficile de déterrer les tubercules de manioc, car le sol est dur », a-t-elle confié.

Ainsi, la Côte d’Ivoire se voit de plus en plus confrontée à une menace sur sa sécurité alimentaire et une flambée des prix des principales denrées alimentaires.

Au Centre à Yamoussoukro, les marchés naguère couverts en abondance de produits vivriers ne sont plus régulièrement approvisionnés depuis la fin janvier, soumettant les habitants de la capitale politique du pays à une inflation sans précédant.

Le tas de piment, de gombo et ou d’aubergine qui était vendu à 100 FCFA est passé à 500F. La tomate de premier choix coûte désormais 500 FCFA le kg contre, 250 FCFA par le passé, quand celle de deuxième choix est passée de 150 FCFA à 350 voire 400 FCFA le kg. Dans la même ville, trois ignames de type  » bétè bétè  » ou de type  « Klèglè  » de taille moyenne sont désormais vendues à 2000 FCFA au lieu de 500 FCFA.

« Il faut débourser 2000 FCFA pour trois petits régimes de bananes scellés, alors qu’il y a quelques temps encore la même somme permettait d’acheter cinq régimes de bananes bien formées », fait remarquer Fatou Koné, une ménagère en discussion avec une vendeuse au marché Mô Faitai de Yamoussoukro.

Le mois de février est une période de sécheresse, mais assez prononcée cette année  », reconnaît le chef d’antenne de l’Office d’aide à la commercialisation des produits vivriers (OCPV) de Yamoussoukro, Eric Stéphane Ohoussou, qui explique que le manque de vivrier à Yamoussoukro est surtout dû au tarissement de la plupart des points d’eau dans la localité.

 L’élevage pas épargné

Au-delà des cultures, les zones d’élevage par excellence, notamment les régions Nord, Nord-est, Centre sont confrontées au manque de forages et d’eau dû à la dégradation des conditions climatiques.

A Dabakala (Centre-Nord), les herbes et les points d’eau étant devenus rares, les bouviers se tournent de plus en plus vers les épluchures de manioc, afin de préserver leur cheptel. En effet, ils récupèrent auprès des vendeuses d’Attiéké les épluchures de manioc qui contiennent assez d’eau et sont prisées par les bœufs et moutons.

Un sac de cinquante kilogramme d’épluchures de manioc se vend aujourd’hui entre 200 et 300 F CFA. Les éleveurs les plus nantis convoient leurs bétails vers le fleuve Comoé, à une centaine de kilomètres de Dabakala, où les conflits entre agriculteurs et éleveurs sont de plus en plus fréquents à cause de la transhumance des troupeaux.

A Niakaramadougou (Centre-Nord), des centaines de milliers de bovins en provenance du Mali, du Burkina Faso et même des régions du Nord de la Côte d’Ivoire arrivent dans le département, en quête de pâturage. Une situation qui est souvent source de tensions.

 La rage des feux de brousse

Les feux de brousse sont particulièrement fréquents dans les zones à forte production agricole. Ils sont souvent le fait de pratiques culturales, d’activité de chasse, d’extraction de vin de palme, ou de distillation de boisson.

Cependant avec l’assèchement de la végétation en période de saison sèche et par le concours des grands vents, ces feux se propagent à une vitesse ahurissante, quittent parfois les brousses et atteignent les lieux de résidence des populations rurales.

Les feux de brousse deviennent ainsi récurrents dans presque toutes les régions du pays.

Dans la région du Iffou (Centre), les feux ont ravagé en janvier  Akakro, un village du département de M’Bahiakro, causant de nombreux dégâts matériels.

Autant à Daoukro, où un incendie qui a perduré durant trois jours, en janvier, a ravagé plusieurs hectares de plantations appartenant aux populations de quatre villages situés dans la sous-préfecture de Koffi Amonkro, dans le département de Prikro.

En cause, un paysan du village d’Alui-namouenou qui aurait mis le feu à sa parcelle pour pourvoir ensuite semer des grains, mais aidées par le vent qui est beaucoup plus fort ces temps-ci et la sécheresse, les flammes se sont très vite propagées aux herbes sèches pour gagner les autres plantations environnantes.

La région du Marahoué (Centre-ouest) n’est pas épargnée par cette vague de feux de brousse. Des incendies dans plusieurs villages de Bouaflé ont fait un mort et causé de nombreux dégâts matériels,  les 23 et 24 janvier. Un premier incendie qui s’est déclaré le 23 janvier dans le village d’Attossé (15 km de Bouaflé), a causé la mort d’une personne.

Mais avant ce drame, le feu avait atteint les abords du village de Ténikro (12 km de Bouaflé), brûlant une ferme, des plantations et le cimetière. A Akouébo et Kabakourousso, deux villages proches de Bouaflé, un incendie s’était déclaré mais vite été enrayé par les sapeurs-pompiers civils.

La zone Est du pays reste pour l’heure la plus touchée par ces feux de brousse. Dans la localité de Koun Fao, département de Bondoukou (Nord-est), 125,75 ha de culture pérenne et à 39 ha de vivriers ont été ravagé par ce fléau, début février.

Le village de Kanton, situé à 25 kilomètres ouest de Tanda (Nord-est, région du Gontougo), a également été entièrement ravagé par un incendie qui a occasionné de nombreux dégâts dont des habitations et des centaines d’hectares de plantations calcinés.

Cases, champs d’anacarde, de café, d’igname, de roucou et une salle de classe de l’école primaire locale sont partis en fumée avec cette catastrophe, qui ne laisse derrière elle que désolation et misère dans ce village de plus de 600 habitants désormais sans abris.

Se disant « dépouillé de tout par les flammes et sans abri ni attributs de chef, avec une population qui dort à la belle étoile, le ventre vide et dans la peur constante de voir leur vie exposée à toutes sortes de danger », le chefv de Kanton, Nanan Adjoumani Kouame, a souhaité que quelque chose soit fait dans l’urgence pour sa communauté, « afin qu’un autre sinistre soit évitée, c’est-à-dire celle de voir la population mourir de faim et de soif ».

Un fonctionnaire de retour à Abidjan après un bref séjour dans cette partie du pays a confié à l’AIP que la situation "est de plus en plus inquiétante". "S’il les pluies ne tombent pas d’ici un à deux mois, je crains qu’on court vers une famine dans cette région", dit-il.

En attendant, les campagnes de sensibilisation et les installations de comités de lutte contre les feux de brousse se multiplient sur le terrain, à des autorités administratives et coutumières des différentes régions.

Sensibilisation tous azimuts

Le 7 février à Bongouanou, 15 comités chargés de lutte contre les feux de brousse ont été officiellement installés, en de sensibiliser les populations sur les dangers de ce fléau, et de conduire des activités de protection et de lutte à son encontre dans la région du Moronou (Centre-est).

La direction régionale des Eaux et Forêts du Gontougo (Nord-est), organise également depuis quelques semaines des séances de sensibilisation des comités villageois de lutte contre les feux de brousse à Koun-Fao.

Dans la région du Bélier (Centre), 269 comités locaux dont une soixantaine dans le département de Tiébissou, ont été mis sur pied par la direction régionale des Eaux et Forêts de Yamoussoukro, qui appelle à des « actions vigoureuses » contre les feux de brousse.

 Entre autres solutions, il est conseillé aux paysans d’utiliser des rangées de teck en bordure de parcelles comme « brise-vents » permettant de réduire l’effet du vent, comme c’est le cas pour l’hévéa chez des paysans d’Abengourou.

Le planting du manioc sur buttes, billons ou sur des sols ayant subi un labour profond pourrait faciliter l’arrachage pendant les périodes de sécheresse et éviter les pénuries temporaires de manioc sur les marchés. Il est aussi conseillé l’utilisation des canaux d’irrigation ou la pratique de cultures sous serre, afin d’atténuer les effets des vents secs.

Après la phase de sensibilisation, celle de la répression pourrait être aussi une solution pour ceux qui osent  se livrer à la pratique de brulis, suggère, pour sa part, le chef du cantonnement des Eaux et Forêts de Madinani (Nord-est), le lieutenant Coulibaly Yacouba.

Pour l’heure aucun bilan exhaustif n’est encore disponible sur les effets de la sécheresse qui sévit en Côte d’Ivoire, même s’il est clair que les dégâts déjà enregistrés sont importants.

Mais on se souvient que des les périodes 1972-1973 et 1982-1983, des saisons sèches du même type avaient occasionné une baisse du rendement du cacao, première production d’exportation du pays, de 21% et 27% par rapport aux campagnes précédentes, soit une perte d’environ 250 milliards de FCFA, ainsi que 110.000 ha de café-cacao et plus de 67.000 ha de forêt détruits pour la seule campagne agricole 1982-1983.

AIP

 

Auteur:
Armand Tanoh