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Côte d’Ivoire-Ouvertue du procès de l’assassinat de Yves Lambelin : Accusation et défense s'accrochent sur de la compétence du tribunal de Yopougon, Dogbo Blé dans le box des accusés

Le procès du meurtre de quatre hommes, dont deux Français Stéphane Frantz Di Rippel, directeur de l'hôtel Novotel d'Abidjan, Yves Lambelin, directeur général de Sifca,enlevés en 2011 à l’hôtel Novotel d’Abidjan, au plus fort de la crise postélectorale en Côte d’Ivoire, s’est ouvert le mardi 21 février 2017 au palais de justice de Yopougon. Dans le box des accusés, 10 personnes dont le général Brunot Dogbo Blé, commandant de la Garde républicaine au moment des faits. Ces accusés 8 militaires et deux civils( des ex-miliciens qualifiés d'"assimilés militaires") sont poursuivis pour «séquestration et assassinat», pour certains et d’autres « enlèvement » et/ou « disparition de cadavres ». Les débats ont tourné autour de la compétence du tribunal de Yopougon a jugé les accusés et de la qualité militaire de 2 d’entre eux. 

Lors des débats, les avocats de la Défense ont axé leurs argumentations sur les exceptions relatives à l’incompétence matérielle du Tribunal de Yopougon de pouvoir juger les accusés pour la simple raison que le code de procédure pénal combiné avec le code de procédure militaire distinguent selon la loi les compétences entre les juridictions de droit commun et les juridictions comme le Tribunal militaire. 

"Compétence"

Pour la Défense, le tribunal de Yopougon n’est pas compétent à juger les accusés. Selon elle, il faut une instruction d'un juge de ce tribunal pour être compétent. Or, selon la Défense, cette instruction n’a pas été faite par le juge de Yopougon. « Le lieu n’est pas propice pour la tenue des assises, parce que l’instruction n’a pas été faite par le tribunal de Yopougon, mais celui  d’Abidjan-Plateau. La tenue de ces assises viole la loi et est illégale», ont fait savoir les avocats de la Défense.  

« La loi dit que la Cour d’assise ne peut juger que dans la juridiction où l’instruction a eu lieu, où le Tribunal a instruit l’affaire. Cette affaire a été instruite par le juge d’instruction du 8ème Cabinet, c’est-à-dire le Doyen des juges d’instruction du Tribunal d’Abidjan-Plateau et non une cellule spéciale. C’est le Tribunal du Plateau conformément à l’article 232 du code pénal qui est compétent à juger cette affaire. Elle ne peut donc pas se tenir à Yopougon, parce que Yopougon et Plateau sont des Tribunaux de première instance qui sont concurrents », a expliqué Me Gohi Bi Raoul, l’avocat général de l’accusé Dogo Blé.

Mais l’avocat de la partie civile trouve insuffisants les arguments de la défense. « Cet argument n’est pas exact, parce que quand nous regardons le code de procédure pénal en prenant l’article 232, cet article dit que c'est devant le Tribunal qui a instruit l'affaire qu'elle est jugée. Mais quand on prend l’article 234, l’exception dit que le Garde des sceaux peut déplacer la Cour d’Assises dans une autre ville. Et dans le cas d’espèce, ce n’est pas le juge d’instruction du Tribunal qui a instruit, mais c’est un juge qui a été désigné par un décret présidentiel qui a une compétence nationale. Et lorsqu’il a fini ses investigations que l’affaire a été transmise à la Chambre d’accusation», a soutenu le Batonnier Me Adjié Luc.

La qualité militaire de deux accusés mise en cause

Au moment des faits les deux civils parmi les accusés, Yoro Tabekou et Guéhi Bleka Henri Joël, agissaient sous ordre militaire après un appel du porte-parole de l’armée le Colonel Bouanou, selon la défense. Et le code militaire dit dans ce cas d’espèce qu’ils sont « assimilés» à des militaires, donc considérés comme des militaires en fonction. Cette qualité leur est offerte par l’article 6 du code de procédure militaire.

« Lorsque des civiles obéissances à des ordres militaires, ils sont assimilés à des militaires », soulignent les avocats de la Défense. 

A à Me Gohi Bi Raoul d'ajouter: « Il est clair que lorsque ce sont que des militaires qui doivent être jugés et qu’on trouve qu’ils ont agi dans le cadre de leur fonction. Si les accusés ne sont que des militaires, la compétence revient exclusivement au tribunal militaire. Or ce que nous voyons ici, il s’agit d’un Tribunal de droit commun. Nous constatons que sur les 10 accusés, il y a 8 militaires de fonction et deux civils sans être légalement militaires de fonction ont agi sous contrôle de la hiérarchie militaire et ont exécuté des services pour le compte de cette celle-ci », insistant que l’arrêt de la chambre d’accusation qui revoie devant cette accusation dit que les deux civils dont Yoro Tabekou et Guéhi Bleka Henri Joël ont rejoint ces militaires sur appel du porte-parole de l’armée le Colonel Bouanou.

« Ils étaient équipés par l’armée ivoirienne et étaient au service de cette armée donc sous les ordres de la hiérarchie militaire. Du coup, c’est la caractéristique de l’article 6 du code de procédure militaire qui fait d’eux des militaires assimilés. Cela suffit qu’ils soient considérés comme des militaires. C’est bien le Tribunal militaire qui est compétent à les juger », a souligné Me Gohi Bi Raoul.

Mais l’avocat de la partie civile a refuté cette thèse de la Défense. « (...)ce sont des personnes qui ont été coptées ou des personnes qui ont été maintenues sous les ordres et si elles sont en mission ou si elles effectuent du service et renvoie au code de la fonction militaire qui définit les services. Alors,  si on nous dit que des personnes sont envoyées par des militaires aller chercher de l’eau à boire et qu’on dit ces dernières deviennent des militaires assimilés, je dis que c’est un argument qui ne tient pas", s'est opposé Me Adjié Luc.

La défense a demandé au juge président Cissoko Mourlaye, président de la Cour d’assises, de se déclarer incompétent pour ces assises, contrairement à l’avocat général, la partie civile, et l’avocat des victimes qui jugent compétent le Tribunal de Yopougon pour poursuivre ce procès.

De son côté l'avocat de la famille de Yves Lambelin, Me Pierre-Olivier Sur a demandé que la procédure soit accélérée, et que la vérité soit dite pour soulager les victimes qui attendent le verdict de cette affaire depuis 6 ansL'audience a été renvoyée au mercredi 22 février 2017. 

Pour rappel, c’est en avril 2011 que Stéphane Frantz Di Rippel, directeur de l'hôtel Novotel d'Abidjan; Yves Lambelin, directeur général de Sifca, le plus grand groupe agro-industriel ivoirien, son assistant, le Béninois Raoul Adeossi et le Malaisien Chelliah Pandian, directeur général de Sania, filiale de Sifca, avaient été enlevés par un groupe de militaires pendant les combats. Ils avaient été torturés et tués. 

 

Auteur:
Daniel Coulibaly