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Côte d’Ivoire/ Abidjan et la « traite du bétail électoral » : Quand on compte plus d’électeurs que d’habitants dans des communes

Des convois. Encore des convois. Le ballet de va-et-vient de minibus et cars, transportant des citoyens d’une commune vers une autre en vue de s’inscrire sur la liste électorale, est devenu une scène quasi quotidienne depuis l’ouverture de l’opération de révision de la liste électorale.  En prélude aux prochaines élections locales qui débutent avec les législatives en décembre 2016, chaque candidat veut se donner tous les atouts pour l’emporter. Evidemment, l’atout le plus sûr pour la circonstance, ce sont des suffrages. Des voix.

Pour ce faire, des politiciens n’ont trouvé d’autres moyens que de s’acheter des voix. Tel du bétail, des électeurs sont convoyés chaque jour depuis les quartiers pauvres, précaires, populaires et populeux des communautés  comme Yopougon et Abobo, vers des communes résidentielles et administratives pour s’y inscrire sur la liste électorale.  La Diplomatique d’Abidjan qui a constaté ces faits dans au moins deux centres de vote dans les communes de Cocody et du Plateau, est allée plus loin pour comprendre cette nouvelle forme de traite du bétail électoral. Car, s’il est de coutume de voir des électeurs ivoiriens aller s’inscrire sur la liste électorale en province, dans leurs différents lieux d’origine, cette nouvelle formule de « mercenariat électoral » à l’abidjanaise donne des signaux inquiétants pour la démocratie en Côte d’Ivoire. Et le cas anecdotique du Plateau, commune administrative et des affaires d’Abidjan.

La bataille du Plateau

En effet, pour une population de 7488 habitants selon le recensement général de la population de 2014, le Plateau compte désormais plus de 38.000 électeurs. Même si la loi électorale nationale autorise chaque citoyen à s’inscrire dans le lieu de vote de son choix, cette méthode pose toute de même en toile de fond la question de la sincérité des résultats du vote dans cette circonscription, et du contrat social entre l’élu et sa population de sa circonscription.

En effet, peut-on se réclamer élu d’une circonscription dont les habitants en majorité ne vous ont pas accordé leur suffrage ? Ou encore peut-on se réclamer maire d’une commune quand on est soi-même conscient d’avoir été élu par  des mercenaires électoraux venus d’autres communes moyennant des espèces sonnantes et trébuchantes ?  

Las d’assister impuissants à cette saignée des électeurs de leurs cités, des hommes politiques et autorités de Yopougon, Abobo et Adjamé, ont décidé de mettre fin à cette pratique. « Nous sensibilisons nos militants et les populations pour ne pas qu’ils acceptent à jouer à ce jeux malsain », s’insurge un cadre du RDR (parti au pouvoir) de Yopougon qui, toutefois, admet leur impossibilité « aux yeux de la loi d’imposer une fin à cette hémorragie ».

Pain, sardine… et sucrerie

Dans  cette traite, le bétail électoral est tout au frais de son convoyeur. Un morceau de pain, une boite de sardine et une cannette de sucrerie sont offert à chaque électeur du convoi.  Une fois l’inscription finie, ces derniers sont à nouveau transportés, tous frais payés, vers leur commune de résidence où ils regagneront leurs familles avec la somme de 5000 F CFA qui sera remis à la fin du processus.

Ainsi donc, si l’on plaisante communément au bord de la Lagune Ebrié pour dire que la commune commerciale d’Adjamé compte plus d’habitants dans la journée que la nuit, ce ne serait pas une ironie de dire que sa voisine le Plateau compte plus d’électeurs que d’Abidjan.

 

« Rabatteurs d’électeurs »

Ce « business » politique a aussi ses acteurs. Et le pion clé du système reste le « rabatteur d’électeur ». En effet, les rabatteurs d’électeurs sont des jeunes gens qui sillonnent les  quartiers d’Abidjan, les associations de jeunes, de femmes, etc, pour recruter des électeurs mercenaires au profit d’hommes politique.  « Moi je travaille sur la ligne Yopougon-Cocody ; c’est-à-dire que je recrute des électeurs à Yopougon pour aller les faire inscrire à Cocody pour le compte d’une personnalité politique qui veut se présenter là-bas», affirme un jeune homme résident à Yopougon qui a gardé l’anonymat.

Une voix à 5000 francs

Selon ce dernier, pour chaque élection, en plus d’être transporté et nourri, chaque électeur mercenaire touchera la somme de 5000 FCFA. Comme quoi, en politique, tout est possible en terre d’Eburnie.

Armand Tanoh

Auteur:
Armand Tanoh