Abidjan, le vendredi 31 octobre 2025(LDA)-Ancien président du Groupe d’action financière (GAFI) pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, Samir Brahimi est un expert tunisien reconnu dans la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LBC/FT). Ancien secrétaire général du Conseil bancaire et financier de Tunisie, il dirige aujourd’hui le cabinet B&B International, spécialisé dans l’évaluation des dispositifs de conformité et l’accompagnement des entreprises vers la certification internationale. Dans cet entretien, il revient sur les enjeux de la lutte contre le blanchiment d’argent, l’évolution du dispositif AML/CFT et la situation de la Côte d’Ivoire.
LDA: Quels intérêts pour un pays à lutter contre le blanchiment d’argent ?
Samir Brahimi : Le blanchiment d’argent n’est pas dans l’intérêt d’un pays, bien au contraire, c’est un fléau mondial, c’est une criminalité. Selon le Fonds monétaire international (FMI), entre 2 et 5 % du PIB mondial serait blanchi chaque année. Ce phénomène porte atteinte à la stabilité financière internationale, à la réputation des institutions et à la transparence des marchés. Il faut distinguer le blanchiment de capitaux qui consiste à dissimuler l’origine illicite de fonds issus d’un crime ou d’un délit, du financement du terrorisme, qui peut, lui, provenir d’argent « propre ». Dans ce cas, on parle de « noircissement » d’argent. Ces deux phénomènes constituent une menace majeure pour la communauté financière mondiale et régionale, notamment dans l’espace UEMOA.
LDA: Quelles sont les solutions pour lutter contre ce fléau ?
SB : Le GAFI a élaboré un cadre international, afin d’empêcher que les fonds issus d’activités criminelles pénètrent le système financier. Il impose à ce qu’on appelle les personnes assujetties. C’est-à-dire les banques, compagnies d’assurance, sociétés de bourse, etc.de mettre en place des mécanismes de vigilance. Ces institutions doivent notamment identifier correctement leurs clients, évaluer leur profil de risque et assurer un suivi permanent des opérations pour détecter toute incohérence entre les transactions et le profil du client. En cas de soupçon, elles sont tenues de déclarer les opérations suspectes aux autorités compétentes, qui peuvent ensuite coopérer avec leurs homologues à l’étranger.
LDA: Comment le dispositif de lutte contre le blanchiment d’argent a-t-il évolué ces dix dernières années ?
SB : Pendant longtemps, le GAFI se concentrait sur la conformité technique, disposer de lois, de règlements et de structures. Aujourd’hui, l’approche a évolué vers la recherche d’effectivité et d’efficacité. Autrement dit, il ne suffit plus d’avoir un dispositif sur le papier : il faut démontrer que ces règles sont réellement appliquées et produisent des résultats. C’est ce qu’on appelle désormais la mise aux normes, au-delà de la simple mise en place.
LDA: Malgré cette procédure, beaucoup de pays sont encore épinglés par le GAFI, on parle de la liste noire ou de la liste grise ?
SB : Actuellement, 24 pays dans le monde, dont 13 en Afrique, figurent sur la liste grise du GAFI. Cela s’explique par le fait que ces États n’ont pas encore pleinement appliqué les recommandations internationales ou corrigé certaines insuffisances structurelles.
LDA: La Côte d’Ivoire fait partie des pays épinglés, est-ce que, pour vous, c’est une fatalité ?
SB : La Côte d’Ivoire fait partie de ces pays, mais il ne s’agit pas d’une fatalité. Le pays a pris des engagements politiques forts auprès du GAFI et du GIABA (le GAFI régional pour l’Afrique de l’Ouest), afin de renforcer son dispositif LBC/FT. Les efforts entrepris sont réels et plusieurs insuffisances ont déjà été corrigées. À mon sens, la Côte d’Ivoire dispose de sérieuses chances de sortir de la liste grise et de s’inscrire durablement dans une dynamique de conformité effective.
LDA: On pensait que la bancarisation allait réduire le blanchiment d’argent, or on constate l’inverse. Comment expliquez-vous cela ?
SB: (Rires). Le blanchiment d’argent ne disparaîtra jamais entièrement et dans tous les pays. La problématique n’est pas une question d’existence ou non du phénomène, mais plutôt du degré de risque. Le blanchiment d’argent existera en Côte d’Ivoire comme dans tous les pays ; mais à des degrés et à des niveaux différents, tout dépend du profil de l’infraction sous-jacente. On blanchit l’argent qui provient de l’infraction sous-jacente, le risque existe et existera toujours tant qu’il y aura un code pénal, des chambres pénales dans les tribunaux et tant qu’il y aura un dispositif pénitencier. Cela veut dire qu’il existe une infraction sous-jacente, autrement dit que l’infraction peut toujours générer un risque de blanchiment d’argent. Aujourd’hui, on parle de plateforme d’interopérabilité qui va accélérer les transactions entre les pays de la zone UEMOA, ça aussi c’est autre défi.
LDA: Un mot sur l’initiative de l’APBEF-CI ?
SB: C’est une excellente initiative. L’Association professionnelle des banques et établissements financiers de Côte d’Ivoire (APBEF-CI), en partenariat avec des sociétés spécialisées telles que Talys, ST2i et B&B International, œuvre à la mise à niveau technologique du dispositif de lutte contre le blanchiment. Aujourd’hui, la conformité LBC/FT repose largement sur les solutions informatiques, car ce sont elles qui hébergent et automatisent les contrôles. Il est donc important de proposer des solutions informatiques qui soient au diapason des évolutions du standard, qui intègrent les paramètres d’effectivité, pour que les institutions financières soient à la fois pertinentes et performantes dans leur dispositif de prévention. C’est ce que propose aujourd’hui Talys et ses partenaires, ST2i et le Cabinet B&B, qui ont une longue expérience dans l’accompagnement et l’assistance technique pour évaluer leurs mesures préventives internes au double plan de la conformité technique et l’effectivité et d’essayer de les accompagner dans la mise à niveau de ce dispositif pour justement que ces entreprises adressent au mieux la question blanchiment pour être pertinent et optimal. La lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme est un processus continu. Elle ne se résume pas à des lois, mais à leur application effective.
Auteur: Entretien réalisé par Eugène Yao