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CPI-Crimes contre l'humanité : Le jihadiste malien Al Mahdi plaide "coupable" et demande "pardon"

"Votre Honneur, j'ai le regret de dire que tout ce que j'ai entendu jusqu'à présent est véridique et reflète les événements; (...) je plaide coupable!", a déclaré Ahmad Al Faqi Al Mahdi, le lundi 22 août 2016, après la lecture des charges à son encontre. C’était à l'ouverture de son procès devant la Cour pénale internationale à La Haye aux Pays Bas.

Il est reproché au jihadiste d'avoir ordonné et participé à la destruction des mausolées classés au Patrimoine mondial de l'humanité, une première dans l'histoire de la CPI. Il aurait, selon le dossier d’accusation, participé à toutes les étapes de la destruction: de la planification à l'exécution, en passant par le sermon du vendredi précédant l'attaque. Des actes pour lesquels Ahmad Al Faqi Al Mahdi a choisi de plaider coupable pour "demander pardon aux habitants de Tombouctou et au peuple malien". "Je demande leur pardon et je leur demande de me considérer comme un fils ayant égaré son chemin", a-t-il déclaré.

Né il y a une quarantaine d'années dans la tribu maraboutique des Kel Ansar, à Agoune, à 100 km à l'ouest de Tombouctou, cet homme barbu à l'abondante chevelure bouclée, décrit comme réservé, voire introverti, a été le maître d'oeuvre de la démolition de ces monuments classés au Patrimoine mondial de l'humanité.

"'Gardien du temple  intransigeant"

Diplômé de l'Institut de formation des maîtres de Tombouctou, ancien fonctionnaire de l'Education malienne qui a vécu en Libye et en Arabie saoudite, il a fréquenté très tôt l'école coranique. "Parmi les 82 élèves de la madrassa, Ahmad avait de loin la mémoire la plus phénoménale. Il avait tout le Coran dans la tête", se souvient El Hadj Mohamed Coulibaly, son ancien maître coranique dans les années 1980 à Nara, dans la région de Koulikoro.

Un moment directeur d'école à Douentza (centre-nord), Ahmad Al Faqi Al Mahdi est de retour à Tombouctou peu avant l'entrée des jihadistes en avril 2012. A cette époque, "chargé des affaires religieuses" au sein de la représentation locale de l'Association des jeunes musulmans du Mali, il fait figure de "gardien du temple", intransigeant sur les principes et prônant ouvertement l'application de la charia.

Il côtoie alors Sanda Ould Boumama, qui deviendra porte-parole d'Ansar Dine, un groupe jihadiste majoritairement touareg. Père de trois garçons, il est marié à la nièce de Houka Ag Alfousseyni, juge islamique de la ville, un appui qui favorisera son ascension après l'avènement des jihadistes.

La carotte et le bâton

Il se rapproche des nouveaux maîtres de Tombouctou, dont il devient l'idéologue, et le chef de la hisbah, la brigade islamique des moeurs qu'il met en place en avril 2012. Il rejoint alors les rangs d'Ansar Dine.

A la tête de sa brigade, "il utilisait la carotte et le bâton. Il pouvait brutalement fermer des boutiques pour obliger les gens à se rendre à la mosquée", notamment le vendredi, témoigne un religieux de Tombouctou sous couvert d'anonymat.

Moralisateur, Ahmad Al Faqi Al Mahdi n'a pas hésité, selon des témoins, à fouetter lui-même des femmes qu'il jugeait "impures". A contrario, il lui est arrivé de réunir des fumeurs pour les convaincre de renoncer à leur addiction, plutôt que de les flageller séance tenante, selon le même religieux.

"Le shérif de la ville"

Il avait un côté "shérif de la ville", résume un élu local, selon lequel il se prenait parfois pour "le chef des imams" de Tombouctou.

En 2012, l'ancien enseignant expliquait à un journaliste de l'AFP qu'il avait brièvement reçu à Tombouctou que son rôle était de "justifier toutes les décisions appliquées au nom de la charia, au nom du Coran", jugeant "absolument normal de couper la main d'un voleur". "Le Prophète a dit de casser les mausolées parce que tous les gens sont égaux et donc, dans un cimetière, une tombe ne doit pas être plus élevée qu'une autre", avait–il affirmé, entouré de combattants armés jusqu'aux dents.

Devant la CPI, un de ses avocats, Jean-Louis Gilissen, a décrit "un homme intelligent, raisonnable, un intellectuel", qui "cherchait à faire prévaloir sa vision du bien et du mal".

"Il voulait introduire, et si nécessaire, imposer la pureté", a souligné son conseil, "et l'Histoire nous a appris combien la recherche de la pureté peut se révéler dangereuse".

Source : Hoffington Post

Auteur:
Armand Tanoh