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Interview / Séname Koffi (Jeune entrepreneur togolais) : "Mon ambition, concilier l’architecture et l’anthropologie via les IT dans la construction des villes africaines"

Né au Togo où il a fait ses études primaires et secondaires sanctionnées par le Baccalauréat (BAC II), Koffi Sénamé Agbodjinou est un chercheur indépendant en architecture et anthropologie.

Après deux années de formation à l'Université de Lomé, il s'est rendu en France pour poursuivre ses études. Au cours de ces formations, il s'est intéressé au design, à l'histoire de l'art, à l'architecture notamment, et poursuit actuellement des études en anthropologie.

Envie de pousser la jeunesse africaine à réaliser ses rêves, par des projets à faire développer l’Afrique, ce Togolais est le créateur du WOELAB (espace de démocratie technologique et modèle  inédit d’incubateur de proximité).

Dans cette interview donnée à La Diplomatique d’Abidjan (LDA), il explique mieux son projet ; sa vision pour le développement de l’Afrique et ses actions menées au sein de son pays le Togo.

La Diplomatique D’Abidjan (LDA) : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Séname Koffi : Je fais de la recherche en indépendant au carrefour de l’architecture et de l’anthropologie avec une plateforme : "L’Africaine d’architecture". L’Africaine est à l’origine d’une réflexion sur la transformation vernaculaire de la ville grâce aux technologies de l’information (IT), que nous testons à Lomé. J'ai donc aussi depuis 2012, ce petit engagement social autour du numérique avec l’approche #LowHighTech et la naissance du premier tech-hub togolais WoeLab. Je suis le principal animateur et sponsor de ce lieu d’innovation où nous essayons de développer tous types de projets tech pouvant impacter positivement l’environnement d’un rayon d’1km autour.

LDA : Parlez-nous de votre projet WoeLab !

Séname Koffi : Un peu fablab, un peu coworking space, un peu startup-studio, il faudrait voir WoeLab comme une sorte de maison de quartier 2.0. C’est un espace expérimental élaboré sur le modèle du “enclos d’initiation” et pour avoir en contexte urbain une fonction similaire de ce type de structure dans la société organique et de tradition. En clair c’est un dispositif partagé où des jeunes grâce à une astreinte au partage découvrent et réalisent leur potentiel en impulsant, en communauté, des projets. Nous portons les idées les plus intéressantes au statut d’entreprise. Une douzaine de startups ont ainsi été prototypées. WoeLab est au service d'une vison urbaine (HubCité) dans laquelle la figure qui a l'initiative dans la production de la ville n'est plus le décideur, l'architecte ou le planificateur... mais l'entrepreneur. Qualité que le contrat du Lab est de démocratiser.

LDA : C’est par vos propres moyens que vous avez commencé ce projet ? Si oui expliquez- nous comment avez-vous eu des fonds pour commencer le projet ?

Séname Koffi : Le Lab est autofinancé dès ses origines et le demeure après 4 années d’existence. C’est un choix que nous avons fait pour le symbole et pour jouir de l’indépendance nécessaire à déployer pleinement la vision qui était la mienne. Il faut dire que cette sorte de virilité marchait tout à fait avec l’Ethique " Hacker "croisé avec ce sens paysan du concret qui forme notre logiciel. En terme de vrai impact, pour moi, tout ce que pourrait apporter ce projet n’est rien à côté de ce qu’il puisse participer de déprogrammer le regard qu’on porte sur l’Afrique en incarnant un certain refus de l’aide. Cela est contre-intuitif mais il me semble que ce sera un fondamental de la modernité africaine. Nous finançons principalement sur fonds propres mais le programme startup #siliconvilla est appelé petit à petit à prendre le relais.

LDA : Depuis le projet lancé, combien de jeunes qui répondent à l’appel de l’ « entrepreneuriat » au Togo ?

Séname Koffi : Au Togo, à peu près 3 jeunes sur 4 que vous pourriez identifier dans cette scène-tech en maturation, ont fait leurs armes à mes côtés ou ont été directement ou indirectement nourri par l'expérience WoeLab. Ce n’est pas la quantité qui compte en vrai, dans la logique écosystème qui doit être celle d’un catalyseur. Et là, ce qu’il faut dire c’est que nous échouons bien trop souvent encore à prévenir les réflexes d’appropriation, de jouissance immédiate et les tentations à la réalisation personnelle au détriment du groupe. Or il nous semble que c’est sur un modèle particulier d’entrepreneuriat sur le modèle du “commun” que l’Afrique peut construire une contribution de poids à la culture startup.

LDA : Citez-nous des projets novateurs lancés par quelques jeunes ?

Séname Koffi : L’approche que WoeLab explore est celle de l’aventure collective et les projets nous mobilisent toujours dans cette  optique “partagé”. Ce qui est le premier de leur caractère novateur. Nous avons impulsé par exemple, pour citer ce qui nous préoccupe le plus ce moment, deux projets assez avant-gardistes de transformation systématique de la ville par l’entrepreneuriat: SCoPE pour la collecte et le tri sélectif smart des déchets et Urbanattic sorte d’AMAP 2.0, pour de l’agriculture urbaine connectée.

LDA : Pourrais-t-on dire que le TOGO se positionne comme le HUB technologique avec toutes ses initiatives?

Je ne sais pas. Cela serait justifié en tout cas. Et je crois savoir que c’est l’ambition des décideurs.Cela ne serait pas compliqué à réaliser en tout. Nous avons des éléments qui jouent en notre faveur dont le tropisme: la taille du pays, la situation, le fait que ce serait un carrefour de plusieurs populations etc…Il s’agit de penser la chose technologique et de dégager une vision.

LDA : Pensez-vous élargir ce projet à l’ensemble de l’Afrique ? Si Oui, quels sont les pays que vous visez pour installer de prochains « WOLEAB » ?

Séname Koffi : WoeLab n’a pas vocation à répliquer en dehors du territoire HubCité. C’est à tous points de vue une expérimentation. Ceci dit j’accompagne à différents niveaux plusieurs projets locaux, la plupart portés par de très jeunes gens, de montage de lieux d’innovation au Mali, au Congo, au Nigeria, au Cameroun, etc.

LDA : Avec une formation en architecture et anthropologie, quelles sont les actions que vous entreprenez dans ce domaine dans votre pays ?

Séname Koffi : Je n’ai malheureusement pas la chance de m’exprimer beaucoup directement dans mes domaines d’origine. Je pense que ce que je pourrais proposer quelque chose qui est du sens pour le Togo et l’Afrique. Nous allons essayer dans les mois qui viennent de faire sortir du sol un foyer d’accueil pour orphelins, entièrement en technique nubienne. C’est essayer de mener un projet jusqu’au bout sans qu’il y ait trop de déperdition dans l’éthique initiale.

LDA : La Côte d’Ivoire est aussi un pays où le gouvernement ivoirien met l’accent sur l’emploi des jeunes, l’entreprenariat des jeunes, par des agences et fonds destinés aux projets de jeunes. Avez-vous des modèles que vous connaissez en Côte d’Ivoire dans le domaine de l’entreprenariat ?

Séname Koffi : Je ne connais pas dans le fonds la scène ivoirienne. J’ai eu le plaisir de rencontrer Jean Delmas EHUI en 2012. Il incarne presqu’à caricature ce qu’en mon sens peut être l’engagement d’un africain dans le mouvement startup. On a une vision particulière de la réussite en Afrique. C’est perçu comme ce qui doit nous arracher de notre contexte où nous couper du terreau d’origine. Et on considère qu’on a réussi quand, par exemple, dans un environnement où tous vont à pied, on roule en voiture ou qu’on s’est mis à ne plus manger tout à fait comme ceux qui nous entourent. Ce qu’il y a de presque jubilatoire pour moi, dans la culture startup, c’est qu’elle peut frapper de caducité cette  façon de voir archaïque.  Et demain on pourrait se surprendre à considérer que ceux qui ont le mieux réussi sont ceux qui tout en le tirant vers le haut ont réussi à se fondre en leur contexte. Cela suppose que dès la base qu’on entretienne cette intimité radicale avec..., que cela soit même le fondement modèle économique bien compris et donc de la garantie sociabilité de son idée. En ce sens Delmo est le prototype du startuper africain.

LDA : Quelles sont vos projets à court, moyen et long terme ?

Séname Koffi : Mon approche est assez générative. Il n’y pas d’objectif gravé dans le marbre. Il faut seulement un déterminatif (le motif), un déterminant et une détermination.  Quand vous avez cela ce sont les conditions et la tension qui vous prescrivent le ‘next step’. Aujourd'hui les conditions inclinent principalement vers une première itération du modèle et un besoin de témoigner. Je travaille donc au lancement de WoeLab Prime et à un petit ouvrage qui j'espère sortira bientôt.

LDA : Des prix remportés grâce à ces actions menées au Togo ou ailleurs ?

Séname Koffi : Quelques-uns, oui. En 2010, j’ai reçu un trophée "Cœur d’immobilier", qui devait déclencher le projet d’extension, avec un espace pour la femme de la cellule d’obstétrique d’un petit hôpital rural à Mao au Tchad ; mais cela n’as pas vu le jour.

LDA : On change de sujet ! Etes-vous marié ? Des enfants ?

Séname Koffi : Oui je m’occupe aussi d’un foyer et ce n’est pas le projet dont je suis le moins fier.

LDA : Un mot à la jeunesse ivoirienne qui vous lis et à l’ensemble de la jeunesse africaine

Séname Koffi : Afrique !

Interview réalisée par Nadège Koffi

Auteur:
Armand Tanoh