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Litige frontalier maritime entre la Côte d’Ivoire et le Ghana : Fin des plaidoiries, le verdict connu fin septembre 2017

Les audiences publiques visant à délimiter la frontière maritime – potentiellement riche en ressources pétrolières- entre le Ghana et la Côte d'Ivoire, qui s’étaient ouverte le 6 février 2017 à Hambourg (nord de l'Allemagne) devant le Tribunal international du droit de la mer (TIDM), ont pris fin le vendredi 17 février 2017. Le verdict est attendu en septembre de cette année, pour départager ces deux pays frères et amis qui se sont déjà engagés à s’en remettre à la décision de cette cour.

Après les dix jours de plaidoirie, les espoirs des deux camps restent tournés vers le président de ce tribunal, le juge Boualem Bouguetaia. Les membres des collèges d’avocats des deux pays ont profité de cette occasion pour faire valoir leurs arguments, chaque camp tentant de justifier les raisons pour lesquelles le président de la Chambre spéciale du TIDM devrait statuer en sa faveur.

« La Côte d'Ivoire n'a aucune preuve », attaque le Ghana 

Dans son argumentaire, le Ghana devant la Cour, les avocats du Ghana ont reproché à la Côte d'Ivoire de fermer délibérément les yeux sur les arguments « juridiques bien fondés »  de leur client. Selon le Ghana, la Côte d'Ivoire est figée sur ses « arguments sans fondement», car n’ayant  « aucune preuve pour étayer ses allégations» selon lesquelles le Ghana a violé ses limites pour se retrouver dans l'espace maritime ivoirien, rapporte le site ghanéen asempanews.com.

"Nos amis vous offrent un nuage de fumée et quelques lignes: Les problèmes régionaux, l'accès inégal aux ressources, etc. Nous avons remarqué - comme vous, certainement - les nombreux points sur lesquels ils sont restés, pour la plupart, silencieux", a notamment avancé Pr Philippe Sands, avocat international et tête de file de la défense ghanéenne devant les juges. « En particulier, ils n'ont rien trouvé à vous dire sur le respect par la Côte d'Ivoire d’une frontière habituelle représentée par une ligne à équidistance (droite allant de la jonction de la frontière terrestre commune sur la côte jusqu’en haute mer) des deux pays, de son accession à l'indépendance jusqu'en 2009", a-t-il poursuivi.

Se prononçant sur une carte du bassin litigieux élaborée par la Côte d'Ivoire en 2005 et intitulée «Opportunités en eau profonde en Côte d'Ivoire», le Pr Sands a soutenu que ce pays « qu’ils (les Ivoiriens) disposent de la plus grande part d’hydrocarbures, mais cela ne les suffit pas, ils veulent encore plus". Tout en accusant la Côte d'Ivoire d'être sélective en matière de géologie, il a dénoncé une présumé activité pétrolière de la Côte d'Ivoire dans cette zone depuis 2005. "(…) Plus de 178 forage d'exploration et de développement d’activités pétrolières ont été creusés dans le bassin sédimentaire de la Côte d'Ivoire, conduisant à une production cumulée de 90 millions de barils de pétrole et 400 milliards mètre cubes de gaz. Quatre-vingt-dix millions de barils, c’est beaucoup plus que ce que le Ghana pouvait produire à cette époque", a relevé Philippe Sands.

Toujours sur l'ampleur de la présumée production pétrolière par la Côte d'Ivoire durant des années précédant le litige, le Prof. Sands a déclaré que "la production pétrolière en Côte d'Ivoire était d'environ 20 000 barils par jour en 1996, atteignant environ 60.000 barils par jour ; et pouvait atteindre jusqu’à 70.000 barils par jour en 2009 ». « Pour atteindre ce niveau de production, la Côte d'Ivoire a attiré des investisseurs étrangers, notamment parce que la Côte d'Ivoire a pu offrir et s'appuyer sur une frontière fixe convenue de manière bilatérale, et qui a été pleinement respectée par le Ghana", a-t-t-il insisté, niant dans la foulée l’accusation de la Côte d’Ivoire selon laquelle le Ghana violerait ses droits souverains. "La Côte d'Ivoire a omis de signaler toute conduite du Ghana susceptible de compromettre ou entraver la détermination de la frontière". 

Pour sa part, Fui Tsikata, l'un des avocats du Ghana, a déclaré que la Côte d'Ivoire avait délibérément ignoré ou dénaturé les faits devant le tribunal. D’après lui, sur 15 cartes qui ont été montrées la semaine dernière durant les débats, sept ont été produites par cinq ministères en Côte d'Ivoire. 

« Pas de ligne équidistante, plutôt une bissectrice », rétorque la Côte d’Ivoire

De leur côté, les avocats de la Côte d’Ivoire, qui avaient à leur côté une délégation d’officiels conduite par le conseiller du chef de l’Etat chargé de l’Energie, des Mines et du Pétrole, Adama Toungara, et du ministre de l’Energie et du Pétrole, Thierry Tanoh, ont rejeté l'imposition de la ligne équidistante telle que définie par la partie ghanéenne.

Pour la Côte d'Ivoire, la revendication de l'équidistance du Ghana risque de nuire à ses intérêts, mais aussi à ceux  d'autres pays comme le Togo et le Bénin dans le golfe de Guinée. La partie ivoirienne a proposé, en lieu et place d’une ligne équidistance, le tracé d’une bissectrice (allant de l’angle formé par la frontière terrestre commune, de la côte jusqu’en haute mer en deux parts égales). Ce qui, selon elle, respecte les droits et intérêts des pays voisins.

Les défenseurs de la Côte d’Ivoire ont fait valoir que les États situés sur la section du golfe de Guinée. Ils ont en outre estimé que la Côte d'Ivoire et le Ghana étaient les premiers pays à avoir mené des négociations en bonne et due forme pour délimiter leur frontière maritime commune, avant de soumettre l’affaire à l’arbitrage du tribunal international suite à l'échec de ces négociations. 

A tour de rôle, ces avocats, dont Alain Pellet, Michel Pitron et Alina Miron, se sont relayés pour défendre la cause de leur client. Pour Me Pellet, la proposition du Ghana d'établir ligne équidistante de séparation est subjective, tandis que la revendication de la bissectrice par la Côte d'Ivoire est plus objective et appropriée. Pour sa part, M. Pitron a accusé le Ghana de priver la Côte d'Ivoire de profiter d’une zone d'intérêt de la sous-région. C’est pourquoi, a-t-il argumenté, la solution de la bissectrice devrait être adoptée pour préserver les intérêts d'autres États dans la sous-région. 

"Ainsi, la jurisprudence de la Cour internationale de Justice, comme celle des tribunaux arbitraux, adopte une vision macro-géographique des différends et tient compte des droits reconnus, ainsi que des droits potentiels des États voisins dans la même région", a soutenu la Côte d’Ivoire dans son exposé.  "Dans ce cas particulier, la délimitation de la frontière maritime entre la Côte d'Ivoire et le Ghana n'empiètera pas sur les droits d'États tiers puisque le golfe de Guinée est ouvert à l'océan. Par conséquent, la frontière maritime entre la Côte d'Ivoire et le Ghana ne risque pas de causer directement des préjudices au Libéria, au Togo ou au Bénin ou les autres États du Golfe de Guinée. Néanmoins, délimiter cette frontière de la manière préconisée par le Ghana serait susceptible de créer un précédent sous-régional », a insisté la Côte d'Ivoire.

Le juge félicite les deux parties

Entre-temps, le Président de la Chambre spéciale a félicité les deux équipes d’avocats pour leur professionnalisme pendant toute la durée de l'audience. "Je tiens à remercier les deux parties, et à  exprimer combien nous avons apprécié le comportement des représentants du Ghana et la Côte d'Ivoire. Je voudrais également remercier les participants des deux pays", a-t-il dit, avant d’annoncer la décision du jugement pour fin de septembre.

Un litige frontalier maritime oppose depuis plus d’une décennie la Côte d’Ivoire et le Ghana, deux pays frontaliers, qui ont décidé de saisir les juridictions internationales afin de les départager sur le tracé de leur limite commune en mer. Les deux pays s’attendent « un verdict qui confirme la fraternité et l’amitié » qui les lient depuis des siècles, selon la délégation ivoirienne.

Armand Tanoh

Auteur:
Armand Tanoh