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Côte d’Ivoire/REPORTAGE: Ossibissa (Abidjan) ou l’intégration ouest africaine autour du poisson

Par Bassolé Simon Benjamin

Abidjan (AIP)- A partir de la baie d’Abobodoumé sur la lagune Ebrié, une traversée de 15 mn, en embarcation artisanale à moteur non incorporé appelée communément « pinasse », suffit pour rallier  Ossibissa, premier des 14 villages de l’île Boulay, jouxtant le port de pêche de Vridi. Découverte d’une terre insulaire où une mosaïque de ressortissants de divers pays d’Afrique de l’Ouest, notamment la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Niger, le Burkina Faso, vivent en harmonie, autour d’une activité phare : la pêche.

Flottant indolemment sur une eau calme dans la matinée de ce mardi 8 novembre 2016, la pinasse, conçue avec du bois solide, accoste sur la berge bordée de cocotiers d’Ossibissa. Il est 9 h.

A quelques encablures du quai rudimentaire, Emmanuel Bekoe, pêcheur de nationalité ghanéenne, apprête son embarcation pour aller à la pêche. Avec lui, deux jeunes de nationalités ivoirienne et burkinabé, qui l’assistent quotidiennement dans sa tâche. Sur le bateau, flottent plusieurs étendards de pays ouest africains, avec au premier plan, le drapeau tricolore ivoirien : orange-blanc-vert, en bandes verticales.

« Le drapeau de la Côte vient en premier pour signaler à la police maritime d’où vient la pirogue. Les autres drapeaux, c’est pour non seulement embellir le bateau, mais aussi adresser un message de paix et d’unité aux peuples africains et d’ailleurs », confie M. Bekoe.

Gravés sur chacun des flancs des embarcations alignées sur la berge, des écriteaux véhiculent différents messages : « In god we trust (En Dieu, nous croyons)», « Thank God (Dieu merci) », « Mountain of Zion (Montagne de Sion) », « African union (Union africaine), etc. Des messages qui expriment, selon les pêcheurs, leur foi, leurs expériences, leurs croyances ou préférences.

Aux dires des habitants, le peuplement de cette localité bâtie sur du sable avec ses maisons précaires  enchevêtrées, en tôles ondulées rouillées pour la plupart, et recouvertes de toiles noires, et aux ruelles en dédales, s’est fait par vagues successives dans les années 70.

« Arrivé, il faut demander »

Selon le Chef de la communauté burkinabé, Kaboré Moussa, le village d’Ossibissa qui signifie en langue ashanti « Arrivé, il faut demander »,  était dans les années 70, un campement appartenant au peuple Atchan (Ebrié). En ce lieu, venait se reposer, les weekends, un cadre ivoirien de l’ex-Caisse de stabilisation et de soutien des prix des produits agricoles (CSSPPA, en abrégé CAISTAB).

Ce dernier, aujourd’hui décédé, avait pour cuisinier et gardien, un burkinabè nommé Salam, qui y vivait régulièrement avec sa famille. Progressivement, des compatriotes de Salam vinrent petit à petit s’y installer.

Quant aux membres à la communauté ghanéenne, comprenant les ethnies Fanti, Ashanti, Gan, Seigan, N’zima et Awnan, ils affluèrent par la suite, suivis des Nigériens et Ivoiriens, précisément les N’zima ou apolloniens venus de Grand-Bassam (Sud-est de la Côte d’Ivoire). Tout un monde pour composer une population cosmopolite autour des mailles de filets et des pirogues.

« Une coexistence en parfaite harmonie »

« Quand nous sommes rassemblés, nous parlons tous la langue Fanti du Ghana, alors qu’entre nous, il y a des Ghanéens, des Burkinabé, des Nigériens, des Ivoiriens et j’en passe. Ici, nous vivons en parfaite harmonie. On ne met pas de différence entre nous », confie Antonio Ebe, chef central des 14 villages qui composent l’île Boulay.

Quoique chef de la communauté burkinabé, le sexagénaire Kaboré Moussa est très souvent sollicité pour arbitrer les querelles entre les membres des autres communautés.  « Souvent, quand les ghanéens sont en palabre, c’est moi qui règle ça ici », lâche-t-il, avec un brin de fierté.

Mais, surtout, en dehors des différends, le plus souvent vite circonscris et gérés, l’union entre les populations est plus probante lors des funérailles, des fêtes musulmanes et chrétiennes. Kaboré Moussa illustre cette bonne cohabitation entre les populations par la flopée de drapeaux qui pendent sur les  pirogues et bateaux. Mais au-delà des fanions, l’équipage multinational de ces embarcations est plus expressif et parlant que les mots pour le dire.

Plusieurs nationalités sur une embarcation

Sur une pinasse faite de bois « Bété » dirigée par un pêcheur ghanéen, l’ivoirien Lago Ipaud Romuald et le burkinabé Rouamba Issouf, font office de « tireurs». Leur rôle consiste à tirer le filet dès que le « bosco », celui qui détecte la présence des poissons lors de la pêche, leur en donne l’ordre.

« J’ai été conduit à Ossibissa par des amis pêcheurs à qui je rendais des services quand j’habitais au bord de la mer de Vridi Canal. Je travaille avec eux depuis 2008 en tant que tireur », retrace Ipaud Romuald, 30 ans, natif de Bebossiba à Daloa.

« Quand la pêche est bonne, je peux m’en sortir après la saison avec 300.000 à 500.000 francs CFA. Dans le cas contraire, il faut compter de 25.000 à 30 000 francs CFA, la saison », révèle le jeune tireur d’ethnie « Bété ».

L’île Boulay, du nom d’un ancien colon, est rattachée à la commune de Yopougon. A l’instar d’Ossibissa, d’autres villages de cette île, notamment N’Gbossroya, Quartier baoulé, Eden city, Johnnykro, Mangokro, Azito palace, Azito Beach, l’Eden Beach, African paradise, N’Zimakro, abritent aussi des peuples cosmopolites, qui en font des cas d’école, des exemples vivants de vivre ensemble.

(AIP)

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Auteur:
Armand Tanoh